et d’une ténacité de mémoire peu commune ; c’est que la règle qualis ab incœpto processerit et sibi constet, très-rigoureuse pour le poète, l’est jusqu’à la minutie pour le comédien ; c’est que celui qui sort de la coulisse sans avoir son jeu présent et son rôle noté éprouvera toute sa vie le rôle d’un débutant, ou que si, doué d’intrépidité, de suffisance et de verve, il compte sur la prestesse de sa tête et l’habitude du métier, cet homme vous en imposera par sa chaleur et son ivresse, et que vous applaudirez à son jeu comme un connaisseur en peinture sourit à une esquisse libertine où tout est indiqué et rien n’est décidé. C’est un de ces prodiges qu’on a vu quelquefois à la foire ou chez Nicolet. Peut-être ces fous-là font-ils bien de rester ce qu’ils sont, des comédiens ébauchés. Plus de travail ne leur donnerait pas ce qui leur manque et pourrait leur ôter ce qu’ils ont. Prenez-les pour ce qu’ils valent, mais ne les mettez pas à côté d’un tableau fini.
Il ne me reste plus qu’une question à vous faire.
Faites.
Avez-vous vu jamais une pièce entière parfaitement jouée ?
Ma foi, je ne m’en souviens pas… Mais attendez… Oui, quelquefois une pièce médiocre, par des acteurs médiocres…
Nos deux interlocuteurs allèrent au spectacle, mais n’y trouvant plus de place ils se rabattirent aux Tuileries. Ils se promenèrent quelque temps en silence. Ils semblaient avoir oublié qu’ils étaient ensemble, et chacun s’entretenait avec lui-même comme s’il eût été seul, l’un à haute voix, l’autre à voix si basse qu’on ne l’entendait pas, laissant seulement échapper par intervalles des mots isolés, mais distincts, desquels il était facile de conjecturer qu’il ne se tenait pas pour battu.
Les idées de l’homme au paradoxe sont les seules dont je puisse rendre compte, et les voici aussi décousues qu’elles doivent le paraître lorsqu’on supprime d’un soliloque les intermédiaires qui servent de liaison. Il disait :
Qu’on mette à sa place un acteur sensible, et nous verrons comment il s’en tirera. Lui, que fait-il ? Il pose son pied sur la