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un comédien et sa femme qui se détestaient ; scène d’amants tendres et passionnés ; scène jouée publiquement sur les planches, telle que je vais vous la rendre et peut-être un peu mieux ; scène où deux acteurs ne parurent jamais plus fortement à leurs rôles ; scène où ils enlevèrent les applaudissements continus du parterre et des loges ; scène que nos battements de mains et nos cris d’admiration interrompirent dix fois. C’est la troisième du quatrième acte du Dépit amoureux de Molière, leur triomphe.

Le comédien ÉRASTE, amant de Lucile.
LUCILE, maîtresse d’Éraste et femme du comédien.

LE COMÉDIEN

Non, non, ne croyez pas, madame,
Que je revienne encor vous parler de ma flamme.

La comédienne. Je vous le conseille.

C’en est fait ;

— Je l’espère.

C’en est fait ;Je me veux guérir, et connais bien
Ce que de votre cœur a possédé le mien.

— Plus que vous n’en méritiez.

Un courroux si constant pour l’ombre d’une offense

— Vous, m’offenser ! je ne vous fais pas cet honneur.

M’a trop bien éclairci de votre indifférence ;
Et je dois vous montrer que les traits du mépris

— Le plus profond.

Sont sensibles surtout aux généreux esprits.

— Oui, aux généreux.

Je l’avouerai, mes yeux observaient dans les vôtres
Des charmes qu’ils n’ont point trouvés dans tous les autres.

— Ce n’est pas faute d’en avoir vu.

Et le ravissement où j’étais de mes fers
Les aurait préférés à des sceptres offerts.