Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VIII.djvu/37

Cette page n’a pas encore été corrigée

pu souffrir dix ans sans se plaindre, mais qu’est-ce que sa peine passée en comparaison de celle qui l’attend ? Pressés par le besoin, tout à l’heure ses enfants s’adresseront à elle, tout à l’heure elle entendra leurs cris… Que fera-t-elle ? Que va-t-elle devenir ?… Ô toi, qui me fus si cruel, après m’avoir si tendrement aimé, ô mon père ! que n’es-tu ici, que ne peux-tu voir !… Ô mon père ! un jour tu toucheras aussi à ton heure dernière, un jour tu craindras que le père commun qui est là-haut ne pèse tes fautes dans la balance rigoureuse où tu pesas la faute de ton enfant ; un jour tu chercheras ton fils à côté de toi, tu l’appelleras, et il ne sera plus ; un jour tu nous verras tous… Mais je me dois à moi-même, je me dois aux malheureux que j’ai faits et qui m’entourent… Ô ciel, sauve-moi, sauve-les de l’instant qui s’avance, et j’irai… oui, j’irai avec ma femme, avec ses enfants me prosterner à la porte de mon père, en baiser le seuil… Qui sait ?… Les habitants de la ville se rassembleront autour de nous, leurs voix suppliantes réunies aux nôtres iront frapper son oreille, il sortira de sa maison… Un père est toujours père… Il nous verra, ses entrailles seront émues, des larmes couleront de ses yeux, il s’inclinera pour nous relever… Je me berce, hélas ! d’une vaine espérance… Mais le jour tombe, et Simon ne reparaît point… Vieux bon homme, te serais-tu lassé de nous ?

SCENE V.

LE PÈRE et LE PLUS JEUNE DE SES ENFANTS.

l’enfant.

Mon papa ! mon papa !

LE PÈRE.

Simon est revenu ?

l’enfant.

Non, mon papa. Je n’ai pas été bien loin, car les forces m’ont manqué. Je me suis adressé dans les champs, sur le chemin, à quelques passants, et je leur ai demandé s’ils n’avaient point rencontré un vieux bon homme en sarrau gris, en sabots, en