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Scène VII


MADAME BERTRAND, MONSIEUR HARDOUIN.
Madame Bertrand.

Je n’en reviens pas ; ou il n’a jamais vu mon mari, ou il prend un autre pour lui… Monsieur, me pardonnerez-vous une question ?

Monsieur Hardouin.

Quelle qu’elle soit.

Madame Bertrand.

Vous allez mal penser de moi. Votre ami M. Poultier a le cœur excellent, mais a-t-il la tête bien saine ?

Monsieur Hardouin.

Très-saine. Et quelle raison auriez-vous d’en douter ?

Madame Bertrand.

Ce qui vient de se passer entre nous.

Monsieur Hardouin.

Il aura été distrait, c’est le défaut de sa place et non le sien. Vous aurez voulu déployer votre reconnaissance, il ne vous aura pas écoutée, parce qu’il met peu d’importance aux services qu’il rend. Il est blasé sur ce plaisir.

Madame Bertrand.

C’est quelque chose de plus singulier. À peine suis-je entrée que, sans presque me regarder, sans s’apercevoir si je suis assise ou debout, toute son attention se tourne sur mon fils.

Monsieur Hardouin.

C’est qu’il aime les enfants ; moi, je suis pour les mères.

Madame Bertrand.

Il se met ensuite à tirer son horoscope et à lui prédire la vie la plus troublée et la plus malheureuse : des jaloux, des calomniateurs, des ennemis de toutes les couleurs ; des querelles avec l’Église, la cour, la ville, les magistrats ; bref, la Bastille ou Vincennes.

Monsieur Hardouin.

Cela m’étonne moins que vous.