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Monsieur Poultier.

Il le faudra bien. Cela vous effarouche, je crois ?

Monsieur Hardouin.

Un peu. Ce secret n’est pas le mien, c’est celui d’un autre, et cet autre c’est une femme.

Monsieur Poultier.

Dont le mari n’est plus. Vous êtes un enfant… Savez-vous comment votre affaire tournera ? Je dirai tout, on sourira. Je proposerai la diminution de la pension, à condition de la rendre réversible, on y consentira. Au lieu de la diminuer, nous la doublerons ; le brevet sera signé sans avoir été lu, et tout sera fini.

Monsieur Hardouin.

Vous êtes charmant. Votre bienfaisance me touche aux larmes ; venez que je vous embrasse. Et notre brevet se fera-t-il longtemps attendre ?

Monsieur Poultier.

Une heure, deux heures peut-être. Je vais travailler avec le ministre ; il y a beaucoup d’affaires, mais on n’expédie que celles que je veux. La vôtre passera la première, et dans un instant je pourrai bien venir moi-même vous instruire du succès.

Monsieur Hardouin.

Je ne saurais vous dire combien je vous suis obligé.

Monsieur Poultier.

Ne me remerciez pas trop, je n’ai jamais eu la conscience plus à l’aise. Voilà en effet une belle récompense pour un homme de lettres qui a consumé les trois quarts de sa vie d’une manière honorable et utile, à qui le ministère n’a pas encore donné le moindre signe d’attention, et qui sans la magnificence d’une souveraine étrangère… Adieu. Je pourrais, je crois, vous rappeler votre promesse, mais je ne veux pas que l’ombre de l’intérêt obscurcisse ce que vous regardez comme un bienfait. Vous retrouverai-je ici ?

Monsieur Hardouin.

Assurément, si j’ai le moindre espoir de vous y revoir. (Rappelant M. Poultier qui s’en va.) Mon ami ?…