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ENTRETIENS
SUR LE FILS NATUREL


INTRODUCTION


J’ai promis de dire pourquoi je n’entendis pas la dernière scène ; et le voici. Lysimond n’était plus. On avait engagé un de ses amis, qui était à peu près de son âge, et qui avait sa taille, sa voix et ses cheveux blancs, à le remplacer dans la pièce. Ce vieillard entra dans le salon, comme Lysimond y était entré la première fois, tenu sous les bras par Clairville et par André, et couvert des habits que son ami avait apportés des prisons. Mais à peine y parut-il, que, ce moment de l’action remettant sous les yeux de toute la famille un homme qu’elle venait de perdre, et qui lui avait été si respectable et si cher, personne ne put retenir ses larmes. Dorval pleurait ; Constance et Clairville pleuraient ; Rosalie étouffait ses sanglots, et détournait ses regards. Le vieillard qui représentait Lysimond, se troubla, et se mit à pleurer aussi. La douleur, passant des maîtres aux domestiques, devint générale ; et la pièce ne finit pas.

Lorsque tout le monde fut retiré, je sortis de mon coin, et je m’en retournai comme j’étais venu. Chemin faisant, j’essuyais mes yeux, et je me disais pour me consoler, car j’avais l’âme triste : « Il faut que je sois bien bon de m’affliger ainsi. Tout ceci n’est qu’une comédie. Dorval en a pris le sujet dans sa tête. Il l’a dialoguée à sa fantaisie, et l’on s’amusait aujourd’hui à la représenter. »

Cependant, quelques circonstances m’embarrassaient. L’histoire de Dorval était connue dans le pays. La représentation en