Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/79

Cette page n’a pas encore été corrigée

s'attendrir tous les jours sur la vertu malheureuse, ne peut être ni méchant , ni farouche. C'est vous-même; ce sont les hommes qui vous ressemblent, que la Nation honore, que le Gouvernement doit protéger plus que jamais, qui affranchiront vos enfants de cette chaîne terrible dont votre mélancolie vous montre leurs mains innocentes chargées. Et quel sera mon devoir et le vôtre; sinon de les accoutumer à n'admirer même dans l' Auteur de toutes choses que les qualités qu'ils chériront en nous? Nous leur présenterons sans cesse que les lois de l'humanité sont immuables, que rien n'en peut dispenser , et nous verrons germer dans leurs âmes ce sentiment de bienfaisance universelle qui embrasse toute la nature. Vous m'avez dit cent fois qu'une âme tendre n'envisageait point le système général des êtres sensibles sans en désirer fortement le bonheur, sans y participer; et je ne crains pas qu'une âme cruelle soit jamais formée dans mon sein de votre sang.

Dorval : Constance a une famille qui demande une grande fortune, et je ne vous cacherai pas que la mienne vient d'être réduite à la moitié.

Constance : Les besoins réels ont des limites; ceux de la fantaisie sont sans bornes. Quelque fortune que vous accumuliez, Dorval, si la vertu, manque à vos enfants ils seront toujours pauvres.

Dorval : La vertu ! On en parle beaucoup.

Constance : C'est la chose dans l'univers la mieux connue et la plus révérée. Mais, Dorval, on s'y attache plus encore par les sacrifices qu'on lui fait, que par les charmes qu'on lui croit; et malheur à celui qui ne lui a pas assez sacrifié pour la préférer à tout, ne vivre, ne respirer que pour elle, s'enivrer de sa douce vapeur, et trouver la fin de ses jours dans cette ivresse !

Dorval : Quelle femme ! ( Il est étonné. Il garde le silence un moment. Il dit ensuite : ) Femme adorable, cruelle , à quoi me réduisez-vous ? Vous m'arrachez le mystère de ma naissance, Sachez donc qu'à