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Constance : Je m’aperçus du goût que Clairville prenait pour elle, je m’occupais à former l’esprit, et surtout le caractère de cet enfant, qui devait un jour faire la destinée de mon frère. Il est étourdi et je la rendais prudente. Il est violent, je cultivais sa douceur naturelle. Je me complaisais à penser que je préparais de concert avec vous, l’union la plus heureuse qu’il y eût peut-être au monde : vous arrivâtes. Hélas ! ( La voix de Constance prend ici l’accent de la tendresse, et s’affaiblit un peu) Votre présence, qui devait m’éclairer et m’encourager, n’eut point ces effets que j’en attendais. Peu à-peu mes soins se détournèrent de Rosalie. Je ne lui enseignais plus à plaire et je n’en ignorais pas longtemps la raison.

Dorval, je connus tout l’empire que la vertu avait sur vous et il me parut que je l’en aimais encore davantage. Je me proposais d’entrer dans votre âme avec elle et je crus n’avoir jamais formé de dessein qui fût si bien selon mon cœur. Qu’une femme est heureuse me disais-je, lorsque le seul moyen qu’elle ait d’attacher celui qu’elle a distingué, c’est d’ajouter de plus en plus à l’estime qu’elle se doit ; c’est de s’élever sans cesse à ses propres yeux. Je n’en ai point employé d’autre. Si je n’en ai pas attendu le succès si je parle, c’est le temps, et non la confiance qui m’a manqué. Je ne doutais jamais que la vertu ne fît naître l’amour, quand le moment en serait venu. (Une petite pause : ce qui suit doit coûter a dire à une femme telle que Constance.) Vous avouerai-je ce qui m’a coûté le plus ? C’était de vous dérober ces mouvements si tendres et si peu libres, qui trahissent presque toujours une femme qui aime. La raison se fait entendre par intervalles. Le cœur importun parle sans cesse. Dorval, cent fois le mot fatal à mon projet s’est présenté sur mes lèvres. Il m’est échappé quelquefois ; mais vous ne l’avez point entendu et je m’en suis toujours félicitée. Telle est Constance. Si vous la fuyez, du moins elle n’aura point à rougir d’elle. Éloignée de vous, je me retrouverai dans le sein de la vertu. Et tandis que tant de femmes détesteront l’instant où l’objet d’une criminelle tendresse arracha de leur cœur un premier soupir Constance ne se rappellera Dorval que pour s’applaudir de l’avoir connu ou, s’il se mêle quelque