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INTRODUCTION




Le sixième volume de l’Encyclopédie venait de paraître ; et j’étais allé chercher à la campagne du repos et de la santé, lorsqu’un événement, non moins intéressant par les circonstances que par les personnes, devint l’étonnement et l’entretien du canton. On n’y parlait que de l’homme rare qui avait eu, dans un même jour, le bonheur d’exposer sa vie pour son ami, et le courage de lui sacrifier sa passion, sa fortune et sa liberté.

Je voulus connaître cet homme. Je le connus, et je le trouvai tel qu’on me l’avait dépeint, sombre et mélancolique. Le chagrin et la douleur, en sortant d’une âme où ils avaient habité trop longtemps, y avaient laissé la tristesse. Il était triste dans sa conversation et dans son maintien, à moins qu’il ne parlât de la vertu, ou qu’il n’éprouvât les transports qu’elle cause à ceux qui en sont fortement épris. Alors vous eussiez dit qu’il se transfigurait. La sérénité se déployait sur son visage. Ses yeux prenaient de l’éclat et de la douceur. Sa voix avait un charme inexprimable. Son discours devenait pathétique. C’était un enchaînement d’idées austères et d’images touchantes, qui tenaient l’attention suspendue et l’âme ravie. Mais, comme on voit le soir, en automne, dans un temps nébuleux et couvert, la lumière s’échapper d’un nuage, briller un moment, et se perdre en un ciel obscur ; bientôt sa gaieté s’éclipsait, et il retombait tout à coup dans le silence et la mélancolie.

Tel était Dorval. Soit qu’on l’eût prévenu favorablement, soit qu’il y ait, comme on le dit, des hommes faits pour s’aimer sitôt qu’ils se rencontreront, il m’accueillit d’une manière ou-