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le père de famille.

Pourriez-vous m’apprendre ce qu’il faut faire ?

le commandeur.

Ce qu’il faut faire ? Être le maître chez soi ; se montrer homme d’abord, et père après, s’ils le méritent.

le père de famille.

Et contre qui, s’il vous plaît, faut-il que j’agisse ?

le commandeur.

Contre qui ? Belle question ! Contre tous. Contre ce Germeuil, qui nourrit votre fils dans son extravagance ; qui cherche à faire entrer une créature dans la famille, pour s’en ouvrir la porte à lui-même, et que je chasserais de ma maison. Contre une fille qui devient de jour en jour plus insolente, qui me manque à moi, qui vous manquera bientôt à vous, et que j’enfermerais dans un couvent. Contre un fils qui a perdu tout sentiment d’honneur, qui va nous couvrir de ridicule et de honte, et à qui je rendrais la vie si dure, qu’il ne serait pas tenté plus longtemps de se soustraire à mon autorité. Pour la vieille qui l’a attiré chez elle, et la jeune dont il a la tête tournée, il y a beaux jours que j’aurais fait sauter tout cela. C’est par où j’aurais commencé ; et à votre place je rougirais qu’un autre s’en fût avisé le premier… Mais il faudrait de la fermeté ; et nous n’en avons point.

le père de famille.

Je vous entends ; c’est-à-dire que je chasserai de ma maison un homme que j’y ai reçu au sortir du berceau, à qui j’ai servi de père, qui s’est attaché à mes intérêts depuis qu’il se connaît, qui aura perdu ses plus belles années auprès de moi, qui n’aura plus de ressource si je l’abandonne, et à qui il faut que mon amitié soit funeste, si elle ne lui devient pas utile ; et cela, sous prétexte qu’il donne de mauvais conseils à mon fils, dont il a désapprouvé les projets ; qu’il sert une créature que peut-être il n’a jamais vue ; ou plutôt parce qu’il n’a pas voulu être l’instrument de sa perte.

J’enfermerai ma fille dans un couvent ; je chargerai sa conduite ou son caractère de soupçons désavantageux ; je flétrirai moi-même sa réputation ; et cela, parce qu’elle aura quelque-