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Scène XII


GERMEUIL, seul.

Le sort m’en veut-il assez ! Le voilà résolu d’enlever sa maîtresse, et il ignore qu’au même instant son oncle travaille à la faire enfermer… Je deviens coup sur coup leur confident et leur complice… Quelle situation est la mienne ! je ne puis ni parler, ni me taire, ni agir, ni cesser… Si l’on me soupçonne seulement d’avoir servi l’oncle, je suis un traître aux yeux du neveu, et je me déshonore dans l’esprit de son père… Encore si je pouvais m’ouvrir à celui-ci… mais ils ont exigé le secret… Y manquer, je ne le puis ni ne le dois… Voilà ce que le Commandeur a vu lorsqu’il s’est adressé à moi, à moi qu’il déteste, pour l’exécution de l’ordre injuste qu’il sollicite… En me présentant sa fortune et sa nièce, deux appâts auxquels il n’imagine pas qu’on résiste, son but est de m’embarquer dans un complot qui me perde… Déjà il croit la chose faite ; et il s’en félicite… Si son neveu le prévient, autres dangers : il se croira joué ; il sera furieux ; il éclatera… Mais Cécile sait tout ; elle connaît mon innocence… Eh ! que servira son témoignage contre le cri de la famille entière qui se soulèvera ?… On n’entendra qu’elle ; et je n’en passerai pas moins pour fauteur d’un rapt… Dans quels embarras ils m’ont précipité ; le neveu, par indiscrétion ; l’oncle, par méchanceté !… Et toi, pauvre innocente, dont les intérêts ne touchent personne, qui te sauvera de deux hommes violents qui ont également résolu ta ruine ? L’un m’attend pour la consommer, l’autre y court ; et je n’ai qu’un instant… mais ne le perdons pas[1]. Emparons-nous d’abord de la lettre de cachet… Ensuite… nous verrons.

  1. Variante : « Emparons-nous d’abord de l’ordre. Je m’expose, je le sais ; mais il faut faire son devoir, et fermer les yeux sur le reste. » À la représentation, ce monologue était un peu écourté et la fin était celle que nous rapportons dans la variante. Lettre de cachet était un mot que la censure ne pouvait laisser passer.