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OBSERVATIONS SUR LE FILS NATUREL.

dents communs entre ces deux pièces. On ne peut donc pas dire que la conduite de l'une soit la conduite de l’autre.

Avant que de passer aux caractères, je remarque, monsieur, l’art avec lequel M. Diderot sait rappeler dans ses ouvrages les traits qui, dans les circonstances présentes, font le plus de honte à nos ennemis, et ceux qui honorent le plus notre nation. On voit dans son Fils naturel la perfidie des Anglais dans le commencement de cette guerre, peinte des couleurs les plus fortes et les plus naturelles. Le père de Dorval, pris dans la traversée et jeté dans les prisons d’Angleterre, est secouru par un Anglais même qui déteste ses compatriotes ; ce qui est bien plus adroit qu’un reproche mis dans la bouche d’un Français : il y a d’ailleurs dans cela de la justice à reconnaître de la probité, même dans quelques particuliers d’une nation ennemie.

C’est avec le même art qu’il a fait entrer dans son Père de famille l’événement de cette guerre le plus important, la prise de Mahon. Cela est d’un homme qui n’est pas moins attentif à se montrer honnête homme et bon citoyen, que grand auteur et grand poète.

Quant aux caractères du Fils naturel, M. Diderot demande à ses critiques s’il y a dans la pièce de M. Goldoni un amant violent tel que Clairville ? et l’on ne peut se dispenser de lui répondre que non. Une fille ingénieuse telle que Rosalie ? et il faut lui répondre encore que non. Une femme qui ait l’âme et l’élévation de sentiments de Constance ; un homme du caractère sombre et farouche de Dorval ? et il faut encore lui faire la même réponse. Il est donc en droit de conclure que tous ces caractères lui appartiennent.

Pour ce qui est des détails, il a trop beau jeu avec ses adversaires. Lorsqu’il prétend qu’il n’y en a pas un seul qui lui soit commun avec son Italien, on n’aura pas de peine à le croire. Son dialogue est dicté par le sentiment et par la délicatesse. M. Diderot est un auteur tendre, intéressant et passionné, qui a su arracher des larmes à tous les honnêtes gens, avec quelques circonstances qui ne font ni rire, ni pleurer dans M. Goldoni. Il a donc eu raison de donner quatre démentis formels à ses adversaires et de dire :

« Que celui qui dit que le genre dans lequel il a écrit le Fils naturel est le même que le genre dans lequel M. Goldoni a écrit l’Ami vrai, dit un mensonge.

« Que celui qui dit que ses caractères et ceux de M. Goldoni ont la moindre ressemblance, dit un mensonge.

« Que celui qui dit qu’il y ait un mot important qu’on ait transporté de l’Ami vrai dans le Fils naturel, dit un mensonge.

« Que celui, enfin, qui dit que la conduite du Fils naturel ne diffère point de celle de l’Ami vrai, dit un mensonge. »