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OBSERVATIONS SUR LE FILS NATUREL.

vient à bout. Il n’y a plus d’embarras pour la dot, car on apprend qu’Octave vient d’être suffoqué, parce que son valet lui a volé son trésor ; le vol est retrouvé, et la pièce finit par un double mariage. Tel est, monsieur, l’extrait fidèle de cette fameuse comédie de M. Goldoni, dont les ennemis de M. Diderot ne vous avaient pas donné une assez juste idée ; et je crois que vous en sentez la raison.

Cette pièce, comme vous voyez, est composée de deux intrigues liées, qui se passent en différents lieux ; l’une dans la maison de Lélio, l’autre dans celle de l’avare ; car les Italiens ne se soucient guère de s’assujettir à l’unité du lieu. Ces deux intrigues occupent à peu près la même étendue dans la pièce. Le rôle de l’avare s’y remarque même plus encore que celui de l’ami vrai ; car l’ami vrai n’aurait aucun sacrifice à faire, si Octave pouvait se déterminer à donner une dot à sa fille ; en sorte qu’on pourrait aussi bien appeler cette comédie l’Avare, que le Véritable Ami.

L’intrigue de l’ami vrai est de M. Goldoni ; mais il a pris à Molière celle de l’avare ; et cela, sans que personne s’en soit formalisé.

C’est en partie de là que M. Diderot a tiré le sujet de la comédie intitulée le Fils naturel. Il a laissé de côté l’intrigue de l’avare, et il s’est emparé de celle de l’ami vrai ; mais, comme dans le poète italien c’est une de ces intrigues qui dénoue l’autre, il a fallu que. M. Diderot songeât à trouver un dénoûment à ce qu’il empruntait de M. Goldoni, pour composer une comédie en cinq actes.

Je ne peux rien dire de plus simple et de plus raisonnable pour la justification de M. Diderot, que ce qu’il en a écrit lui-même dans la poétique qu’il a mise à la suite du Père de famille, que cet auteur vient de publier. Quelles sont les principales parties d’un drame ? L’intrigue, les caractères et les détails.

La naissance illégitime de Dorval, qui est dans le Fils naturel ce que Florinde est dans le Véritable Ami, est la base du Fils naturel. Sans cette circonstance, la fuite de son père aux îles reste sans fondement. Dorval ne peut ignorer qu’il a une sœur, et qu’il vit à côté de cette sœur. Il ne deviendra plus amoureux ; il ne sera plus le rival de son ami. Il faut que Dorval soit riche, afin de réparer le renversement de la fortune de Rosalie. Mais d’où lui viendra cette richesse, si la nécessité de lui faire un sort n’a déterminé son père à l’enrichir de son vivant ? Mais s’il n’aime plus Rosalie, quelle raison peut-il avoir, ou de sortir de la maison de son ami, ou de dérober sa passion ou son indifférence à Constance ? La scène d’André, cette scène si pathétique, n’a plus lieu ; il n’y a plus de père, plus de rivaux, plus d’intrigue, plus de pièce. Voilà les principaux incidents du Fils naturel. Or il n’y en a aucun de ceux-là dans le Véritable Ami de M. Goldoni, quoiqu’il y ait des inci-