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Scène VI


LE PÈRE DE FAMILLE, SAINT-ALBIN.
Saint-Albin, en entrant, et avec vivacité.

Mon père ! (Le Père de famille se promène et garde le silence. Saint-Albin, suivant son père, et d’un ton suppliant.) Mon père !

Le Père de famille, s’arrêtant, et d’un ton sérieux.

Mon fils, si vous n’êtes pas rentré en vous-même, si la raison n’a pas recouvré ses droits sur vous, ne venez pas aggraver vos torts et mon chagrin.

Saint-Albin.

Vous m’en voyez pénétré. J’approche de vous en tremblant… je serai tranquille et raisonnable… Oui, je le serai… je me le suis promis. (Le Père de famille continue de se promener. Saint-Albin, s’approchant avec timidité, lui dit d’une voix basse et tremblante :) Vous l’avez vue ?

Le Père de famille.

Oui, je l’ai vue ; elle est belle, et je la crois sage. Mais, qu’en prétendez-vous faire ? un amusement ? je ne le souffrirais pas. Votre femme ? elle ne vous convient pas.

Saint-Albin, en se contenant.

Elle est belle, elle est sage, et elle ne me convient pas ! Quelle est donc la femme qui me convient ?

Le Père de famille.

Celle qui, par son éducation, sa naissance, son état et sa fortune, peut assurer votre bonheur et satisfaire à mes espérances.

Saint-Albin.

Ainsi le mariage sera pour moi un lien d’intérêt et d’ambition ! Mon père, vous n’avez qu’un fils ; ne le sacrifiez pas à des vues qui remplissent le monde d’époux malheureux. Il me faut une compagne honnête et sensible, qui m’apprenne à supporter les peines de la vie, et non une femme riche et titrée qui les accroisse. Ah ! souhaitez-moi la mort, et que le ciel me l’accorde, plutôt qu’une femme comme j’en vois[1].

  1. Variante : comme il y en a tant.