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OBSERVATIONS SUR LE FILS NATUREL.

Cependant Florinde fait connaître à Rosaure les intentions de Lélio, et l’exhorte à ne plus différer son bonheur. Rosaure, accablée et du départ prochain de Florinde, et de la fermeté avec laquelle il prend les intérêts de son ami, lui fait connaître dans une lettre tout son chagrin et tout son amour. Rien n’est plus comique, plus bouffon même, que la façon dont Florinde reçoit et lit cette lettre. C’est un vrai pantomime qui s’attendrit de la manière la plus grotesque. La réponse est un peu plus sérieuse ; mais que de lazzis ne fait-il pas encore avant que de l’écrire ! Il n’a tracé que quelques lignes, lorsqu’on vient l’avertir que son ami Lélio est assailli par deux ennemis contre lesquels il se défend l’épée à la main. Florinde vole à son secours, et laisse sur la table sa lettre à moitié écrite. Béatrix arrive dans ce moment, lit le papier, et prend pour elle ce que Florinde adresse à Rosaure. Figurez-vous, monsieur, ces vieilles amoureuses, à qui une passion extravagante a fait tourner la tête pour un petit-maître qui les méprise, et vous aurez une idée de toutes les folies que l’auteur fait faire à Béatrix, quoiqu’elle ne soit ni d’un âge, ni d’une figure à mériter les mépris d’un jeune amant. Toutes ces scènes sont coupées par les fréquentes apparitions de l’avare Octave, à qui il échappe à chaque instant de nouveaux traits qui peignent son caractère. Il dit à sa fille que c’est lui ôter la vie, que de l’obliger à se défaire de son bien ; qu’il ne peut consentir à son mariage, à moins que celui qui l’épousera ne se détermine à la prendre sans dot. Florinde est riche, ajoute le vieillard : c’est précisément l’homme qu’il faudrait ; car pour Lélio, il ne voudra jamais d’une fille sans bien. Cette idée, qui ne déplaît point à Rosaure, flatte l’avare ; et il n’aura plus de repos qu’elle ne soit exécutée. En attendant, il entre dans sa chambre pour considérer sa chère cassette. Son valet le surprend en extase à la vue de son or, et médite le dessein de le voler. Cette scène est une farce où Trappola contrefait le diable pour faire peur à son maître.

L’insensée Béatrix devient toujours plus folle de son amant. En vain Florinde lui déclare qu’il ne l’aime point, et se donne des défauts qu’il n’a pas, pour la guérir de son amour. «Je suis, lui dit-il, d’un naturel jaloux ; tout me fait ombrage et m’inquiète. Je veux qu’on ne sorte point de la maison ; que personne ne vienne chez moi ; pour moi, j’aime à me divertir et à me promener. Souvent je ne reviens point ; j’aime à courir la nuit ; j’aime le jeu ; je vais au cabaret ; j’aime à me divertir avec les femmes ; je suis très-colère, emporté même, et s’il m’échappait quelque soufflet… — Eh bien ! répondit Béatrix, battez-moi, tuez-moi ; je veux être votre femme.» Florinde ne peut résister à tant d’amour, et consent enfin à épouser cette pauvre fille. Mais un autre soin l’occupe plus sérieusement. Il s’agit d’engager Rosaure à épouser Lélio ; et ce n’est pas sans peine qu’il la détermine ; mais enfin il en