Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/221

Cette page a été validée par deux contributeurs.

parents, ses connaissances, ses amis. Une fille surannée n’a plus autour d’elle que des indifférents qui la négligent, ou des âmes intéressées qui comptent ses jours. Elle le sent, elle s’en afflige ; elle vit sans qu’on la console, et meurt sans qu’on la pleure.

Cécile.

Cela est vrai. Mais est-il un état sans peine ; et le mariage n’a-t-il pas les siennes ?

Le Père de famille.

Qui le sait mieux que moi ? Vous me l’apprenez tous les jours. Mais c’est un état que la nature impose. C’est la vocation de tout ce qui respire… Ma fille, celui qui compte sur un bonheur sans mélange, ne connaît ni la vie de l’homme, ni les desseins du ciel sur lui… Si le mariage expose à des peines cruelles, c’est aussi la source des plaisirs les plus doux. Où sont les exemples de l’intérêt pur et sincère, de la tendresse réelle, de la confiance intime, des secours continus, des satisfactions réciproques, des chagrins partagés, des soupirs entendus, des larmes confondues, si ce n’est dans le mariage ? Qu’est-ce que l’homme de bien préfère à sa femme ? Qu’y a-t-il au monde qu’un père aime plus que son enfant ?… Ô lien sacré des époux, si je pense à vous, mon âme s’échauffe et s’élève !… Ô noms tendres de fils et de fille, je ne vous prononçai jamais sans tressaillir, sans être touché ! Rien n’est plus doux à mon oreille ; rien n’est plus intéressant à mon cœur… Cécile, rappelez-vous la vie de votre mère : en est-il une plus douce que celle d’une femme qui a employé sa journée à remplir les devoirs d’épouse attentive, de mère tendre, de maîtresse compatissante ?… Quel sujet de réflexions délicieuses elle emporte en son cœur, le soir, quand elle se retire !

Cécile.

Oui, mon père. Mais où sont les femmes comme elle et les époux comme vous ?

Le Père de famille.

Il en est, mon enfant ; et il ne tiendrait qu’à toi d’avoir le sort qu’elle eut.

Cécile.

S’il suffisait de regarder autour de soi, d’écouter sa raison et son cœur…