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OBSERVATIONS SUR LE FILS NATUREL.


FLORINDE.

Quoi ! je vous ai dérobé quelque chose ?

BÉATRIX.

Vous m’avez volé mon cœur.

FLORINDE.

Si je l’ai volé, ç’a été sans dessein.

BÉATRIX.

Si vous n’avez pas désiré mon cœur, moi j’ai désiré le vôtre.

FLORINDE.

Croyez-moi, mademoiselle, faisons un arrangement utile à tous deux : reprenez votre cœur, et laissez-moi le mien.

BÉATRIX.

Vous êtes obligé de répondre à mon amour.

FLORINDE.

C’est ce qui me semble un peu difficile, etc.

Dans cette scène singulière, où tout le reste est dans le goût de ce que vous venez de lire, reconnaissez-vous, monsieur, celle de Dorval et de Constance, qu’on a accusé si faussement et si maladroitement M. Diderot d’avoir copiée, mot pour mot, d’après cette espèce de farce ? Mais ce n’est pas la seule infidélité que vous pourrez remarquer.

Lélio engage son ami à différer son départ jusqu’au lendemain, et le prie de voir Rosaure de sa part, pour savoir enfin s’il peut toujours compter sur elle et sur sa dot ; de lui dire que, si cet hymen lui déplaît, elle est encore libre d’y renoncer ; mais que, si elle consent à l’épouser, il désire que le mariage se fasse au plus tôt. Florinde promet de s’acquitter fidèlement de la commission. Remarquez, monsieur, que tout ceci se dit dans la maison de Lélio, et que la scène suivante se passe dans celle d’Octave. Ce vieil avare, faible copie de notre Harpagon, ramasse toutes les petites choses qu’il trouve par terre, comme chiffons de papier, bouts de ficelle, etc. Il querelle son valet Trappola, de ce qu’il allume le feu de trop bonne heure, de ce qu’il achète quatre œufs de plus qu’il n’en faut pour le dîner, de ce que ces œufs sont trop chers et trop petits, etc., etc. Octave, se trouvant seul, gémit de se voir obligé de tirer de sa cassette six mille écus pour la dot de Rosaure. « Pauvre cassette, dit-il, je te châtrerai ! Je te châtrerai ! Hélas ! si l’on m’avait rendu ce service autrefois, je ne pleurerais pas aujourd’hui pour la dot d’une fille ! » Il a grand soin de laisser ignorer, même à Rosaure, qu’il a de l’argent dans un coffre-fort. Il veut lui persuader que ce ne sont que de vieilles nippes ; et il n’est occupé, devant le monde, qu’à déplorer sa misère.