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pour moi depuis que je suis ; que vous verrez Sophie, que vous lui parlerez, que…

Le père de famille.

Jeune insensé !… Et savez-vous qui elle est ?

Saint-Albin.

C’est là son secret. Mais ses mœurs, ses sentiments, ses discours n’ont rien de conforme à sa condition présente. Un autre état perce à travers la pauvreté de son vêtement : tout la trahit, jusqu’à je ne sais quelle fierté qu’on lui a inspirée, et qui la rend impénétrable sur son état !… Si vous voyiez son ingénuité, sa douceur, sa modestie !… Vous vous souvenez bien de maman… vous soupirez. Eh bien ! c’est elle. Mon papa, voyez-la ; et si votre fils vous a dit un mot…

Le père de famille.

Et cette femme chez qui elle est, ne vous en a rien appris ?

Saint-Albin.

Hélas ! elle est aussi réservée que Sophie ! Ce que j’en ai pu tirer, c’est que cette enfant est venue de province implorer l’assistance d’un parent, qui n’a voulu ni la voir ni la secourir. J’ai profité de cette confidence pour adoucir sa misère, sans offenser sa délicatesse. Je fais du bien à ce que j’aime, et il n’y a que moi qui le sache.

Le père de famille.

Avez-vous dit que vous aimiez ?

Saint-Albin, avec vivacité.

Moi, mon père ?… Je n’ai pas même entrevu dans l’avenir le moment où je l’oserais.

Le père de famille.

Vous ne vous croyez donc pas aimé ?

Saint-Albin.

Pardonnez-moi… Hélas ! quelquefois je l’ai cru !…

Le père de famille.

Et sur quoi ?

Saint-Albin.

Sur des choses légères qui se sentent mieux qu’on ne les dit. Par exemple, elle prend intérêt à tout ce qui me touche. Auparavant, son visage s’éclaircissait à mon arrivée, son regard