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dussé-je être méconnu, méprisé du reste de la terre… Je croyais avoir aimé, je me trompais… C’est à présent que j’aime… (En saisissant la main de son père.) Oui… j’aime pour la première fois.

Le père de famille.

Vous vous jouez de mon indulgence, et de ma peine. Malheureux, laissez là vos extravagances ; regardez-vous, et répondez-moi. Qu’est-ce que cet indigne travestissement ? Que m’annonce-t-il ?

Saint-Albin

Ah, mon père ! c’est à cet habit que je dois mon bonheur, ma Sophie, ma vie.

Le père de famille.

Comment ? parlez.

Saint-Albin

Il a fallu me rapprocher de son état ; il a fallu lui dérober mon rang, devenir son égal. Écoutez, écoutez.

Le père de famille.

J’écoute, et j’attends.

Saint-Albin

Près de cet asile écarté qui la cache aux yeux des hommes… Ce fut ma dernière ressource.

Le père de famille.

Eh bien ?…

Saint-Albin

À côté de ce réduit… il y en avait un autre.

Le père de famille.

Achevez.

Saint-Albin

Je le loue, j’y fais porter les meubles qui conviennent à un indigent ; je m’y loge, et je deviens son voisin, sous le nom de Sergi, et sous cet habit.

Le père de famille.

Ah ! je respire !… Grâce à Dieu, du moins, je ne vois plus en lui qu’un insensé.

Saint-Albin

Jugez si j’aimais !… Qu’il va m’en coûter cher !… Ah !