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Auront-ils élevé un édifice au fond d’une forêt, ils ne craindront pas de s’y retirer quelquefois avec eux-mêmes, avec l’ami qui leur dira la vérité, avec l’amie qui saura parler à leur cœur, avec moi.

J’ai le goût des choses utiles ; et, si je le fais passer en eux, des façades, des places publiques, les toucheront moins qu’un amas de fumier sur lequel ils verront jouer des enfants tout nus, tandis qu’une paysanne, assise sur le seuil de sa chaumière, en tiendra un plus jeune attaché à sa mamelle, et que des hommes basanés s’occuperont, en cent manières diverses, de la subsistance commune.

Ils seront moins délicieusement émus à l’aspect d’une colonnade, que si, traversant un hameau, ils remarquent les épis de la gerbe sortir par les murs entr’ouverts d’une ferme.

Je veux qu’ils voient la misère, afin qu’ils y soient sensibles, et qu’ils sachent, par leur propre expérience, qu’il y a autour d’eux des hommes comme eux, peut-être plus essentiels qu’eux, qui ont à peine de la paille pour se coucher, et qui manquent de pain.

Mon fils, si vous voulez connaître la vérité, sortez, lui dirai-je ; répandez-vous dans les différentes conditions ; voyez les campagnes, entrez dans une chaumière, interrogez celui qui l’habite ; ou plutôt regardez son lit, son pain, sa demeure, son vêtement ; et vous saurez ce que vos flatteurs chercheront à vous dérober.

Rappelez-vous souvent à vous-même qu’il ne faut qu’un seul homme méchant et puissant, pour que cent mille autres hommes pleurent, gémissent et maudissent leur existence.

Que cette espèce de méchants, qui bouleversent le globe et qui le tyrannisent, sont les vrais auteurs du blasphème.

Que la nature n’a point fait d’esclaves, et que personne sous le ciel n’a plus d’autorité qu’elle.

Que l’idée d’esclavage a pris naissance dans l’effusion du sang et au milieu des conquêtes.

Que les hommes n’auraient aucun besoin d’être gouvernés, s’ils n’étaient pas méchants ; et que par conséquent le but de toute autorité doit être de les rendre bons.

Que tout système de morale, tout ressort politique, qui tend à éloigner l’homme de l’homme, est mauvais.