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que Goldoni en avait donné un, et qu’on verrait si le hasard les ferait rencontrer de même.

« M. Diderot n’avait pas besoin d’aller chercher au delà des monts des sujets de comédie, pour se délasser de ses occupations scientifiques. Il donna au bout de trois ans un Père de famille qui n’avait aucune analogie avec le mien.

« Mon protagoniste était un homme doux, sage, prudent, dont le caractère et la conduite peuvent servir d’instruction et d’exemple. Celui de M. Diderot était, au contraire, un homme dur, un père sévère, qui ne pardonnait rien, qui donnait sa malédiction à son fils… C’est un de ces êtres malheureux qui existent dans la nature ; mais je n’aurais jamais osé l’exposer sur la scène.

« Je rendis justice à M. Diderot, je tâchai de désabuser ceux qui croyaient son Père de famille puisé dans le mien ; mais je ne disais rien sur le Fils naturel. L’auteur était fâché contre M. Fréron et contre moi ; il voulait faire éclater son courroux ; il voulait le faire tomber sur l’un ou sur l’autre, et me donna la préférence. Il fit imprimer un Discours sur la poésie dramatique, dans lequel il me traite un peu durement[1].

« Charles Goldoni, dit-il, a écrit en italien une comédie ou plutôt une farce en trois actes… Et dans un autre endroit : Charles Goldoni a composé une soixantaine de farces… On voit bien que M. Diderot, d’après la considération qu’il avait pour moi et pour mes ouvrages, m’appelait Charles Goldoni, comme on appelle Pierre le Roux dans Rose et Colas. C’est le seul écrivain français qui ne m’ait pas honoré de sa bienveillance.

« J’étais fâché de voir un homme du plus grand mérite irrité contre moi. Je fis mon possible pour me rapprocher de lui ; mon intention n’était pas de me plaindre, mais je voulais le convaincre que je ne méritais pas son indignation. Je tâchai de m’introduire dans les maisons où il allait habituellement ; je n’eus jamais le bonheur de le rencontrer. Enfin, ennuyé d’attendre, je forçai sa porte.

« J’entre un jour chez M. Diderot, escorté par M. Duni, qui était du nombre de ses amis ; nous sommes annoncés, nous sommes reçus ; le musicien italien me présente comme un homme de lettres de son pays, qui désirait faire connaissance avec les athlètes de la littérature française. M. Diderot s’efforce en vain de cacher l’embarras dans lequel

  1. Goldoni arrange visiblement ses souvenirs. Nous devons les rectifier. Le Discours, comme le Père de famille, est de 1758. Il avait paru avant la représentation de la pièce, et avant le voyage de Goldoni en France. Goldoni était alors pour Diderot un étranger qu’on lui opposait, qu’on l’accusait d’avoir volé ; il n’avait aucune raison d’être aimable avec lui. Sa position était donc bien différente de celle que lui fait Goldoni en présentant comme ayant été publiés, lui présent, les passages dont il se plaint dans le paragraphe suivant.