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On disait par exemple, à propos d’une pièce (Eulalie ou les Préférences amoureuses) refusée par les comédiens : « Le Père de famille engendra Eugénie ; Eugénie engendra Natalie, l’Indigent, Olinde et Sophronie, la Brouette du Vinaigrier, et mille et une autres sottises qui ont engendré Eulalie. » (Correspondance secrète, t. V, p. 368.) On voulait à toutes forces prouver que Diderot n’avait fait que copier Goldoni et quand Goldoni lui-même déclarait qu’il n’en était rien ; quand Deleyre, pour le prouver mieux encore, traduisait le Père de famille et le Véritable Ami (1758), on cherchait dans les épîtres dédicatoires de ces deux traductions des allusions à Mmes de Robecq et de La Marck ; on accusait, — Rousseau lui-même est coupable de cette légèreté, — Diderot d’avoir insulté ces dames dans des épîtres dont Grimm était réellement l’auteur, tandis qu’au contraire, pour éviter une punition à son ami, Diderot prenait sur lui le délit, si délit il y avait, et désarmait ainsi la colère[1] des intéressées.

Donnons, pour l’édification du lecteur, et les pages dans lesquelles Goldoni raconte son entrevue avec Diderot, en 1762[2], et quelques-uns des cancans des Mémoires secrets.

Voici ce que dit Goldoni :

« En attendant, je ne quittais pas les Français ; ils avaient donné l’année précédente le Père de famille, de M. Diderot, comédie nouvelle qui avait eu du succès. On disait communément à Paris que c’était une imitation de la pièce que j’avais composée sous ce titre, et qui était imprimée.

« J’allai la voir et je n’y reconnus aucune ressemblance avec la mienne. C’était à tort que le public accusait de plagiat ce poëte-philosophe, cet auteur estimable, et c’était une feuille de l’Année littéraire qui avait donné lieu à cette supposition.

« M. Diderot avait donné quelques années auparavant une comédie intitulée le Fils naturel : M. Fréron en avait parlé dans son ouvrage périodique ; il avait trouvé que la pièce française avait beaucoup de rapport avec le Vrai Ami de M. Goldoni ; il avait transcrit les scènes françaises à côté des scènes italiennes. Les unes et les autres paraissaient couler de la même source et le journaliste avait dit, en finissant cet article, que l’auteur du Fils naturel promettait un Père de famille ;

  1. À vrai dire il fallait être bien dans le secret pour reconnaître ces dames (deux amies de Palissot) dans les épîtres, et Voltaire avait raison de douter. « M. *** (écrivait-il à l’auteur des Philosophes) m’a assuré, dans ses dernières lettres, que M. Diderot n’est point reconnu coupable des faits dont vous l’accusez. Une personne, non moins digne de foi, m’a envoyé un très-long détail de cette aventure ; et il se trouve qu’en effet M. Diderot n’a eu nulle part aux deux lettres condamnables qu’on lui imputait. »
  2. Les Mémoires de Goldoni n’indiquent pas cette date, mais elle résulte de la phrase où il est question de la représentation du Père de famille, l’année qui précéda l’entrevue.