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deux jours de plus qu’ils ne l’avaient projeté. Mme Diderot, elle-même, a compris l’indécence qu’il y avait à répondre à tous ceux qui lui faisaient compliment qu’elle n’y avait pas été. »

Tout cela était beau, consolant, encourageant, mais tout cela, au fond, ne produisit qu’un médiocre effet sur la marche générale du théâtre. Il y eut un grand ébranlement qui s’apaisa vite. Une série de pièces du genre préconisé par le novateur furent écrites, mais la routine est bien puissante, chez nous, et, on le sait, les novateurs n’y ont pas beau jeu. Le véritable effet ne se produisit qu’à distance et il nous semble bien indiqué dans ces lignes de Meister :

« Les situations du drame domestique ou bourgeois ne peuvent guère s’écarter de la vérité de la nature, sans que la plupart des spectateurs s’en aperçoivent ; dès lors toute l’illusion de la scène est perdue pour eux. Ces situations sont-elles trop exactement vraies, tout le charme d’une heureuse imitation s’évanouit également ; l’attention n’est plus assez excitée ; on n’y voit que ce qu’on a trop vu dans le cours habituel de la vie ; la sensibilité par là même en est presque toujours ou trop péniblement ou trop légèrement affectée.

« Je ne connais pas de tragédie qui m’ait fait répandre de plus douces larmes que le Père de famille. Mais combien peu de pièces de ce genre, quoique depuis il en ait paru un grand nombre, avons-nous vues se soutenir au théâtre à côté de ce premier modèle !…

« Le théâtre de Diderot et l’éloquent développement de sa théorie dramatique ont eu, ce me semble, beaucoup plus d’influence sur la littérature allemande que sur la littérature française. Cet ouvrage, traduit par un des plus célèbres écrivains de l’Allemagne, Lessing, a produit et devait produire dans ce pays une très-grande sensation. Les vues et les principes qu’il renferme avaient, surtout alors, bien plus d’analogie avec l’esprit et les mœurs germaniques qu’avec l’esprit et le caractère français. Quelle heureuse application n’en ont pas su faire le génie profond et hardi de Goëthe, de Schiller, le talent facile et fécond des Iffland et des Kotzebüe ! » (Pensées détachées, p. 147.)

Les Allemands eux-mêmes en convenaient encore au commencement de ce siècle. Iffland dans ses Mémoires accorde une grande place aux drames de Diderot et de Sedaine. Brandes raconte (Mémoires, publiés par Picard, 1823, p. 355) à propos d’une de ses pièces, Miss Fanny, qu’ayant consulté le libraire Voss, homme de goût et de valeur, celui-ci lui donna pour toute réponse la Bibliothèque théâtrale de Lessing et sa traduction du Théâtre de Diderot en ajoutant : « Lisez cela avec attention, mon ami ; vous y trouverez le vrai chemin. »

À Paris, au lieu de sentir l’importance de la tentative de Diderot, on faisait, comme toujours, des plaisanteries, bonnes ou mauvaises.