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NOTICE PRÉLIMINAIRE.

nement. Disputer aux grands leurs titres et leurs cordons pour en chamarrer de prétendus Diogènes ; projeter une descente sur les coffres des riches, afin d’en élever des pyramides aux talents ; affranchir les belles des entraves de la pudeur, pour avoir le droit de les respecter moins ; c’eût été à la fois me conformer à l’usage, déployer en ma faveur les cent langues de la renommée et trahir mon amour pour la paix. »

Cet assemblage de tous les reproches adressés alors aux philosophes, et nommément à Diderot, peut-il être son ouvrage ? Qui le croira ? qui le dira ? Ce qui a pu tromper, c’est que l’Humanité a été insérée dans le recueil des Œuvres de Diderot, publié à Londres en 1773, mais elle n’a jamais, depuis, été reproduite. Elle a été attribuée par les bibliographes subséquents, Quérard entre autres, à un écrivain nommé Randon, auteur d’une seconde élucubration intitulée Zamir, et en effet elle porte, comme certificat d’origine, « par M. R***, auteur de la tragédie de Zamir, » La Haye, 1761, in-8o. Quant à Zamir, autre ouvrage bizarre, voici son titre qui nous paraît bien du même goût que le précédent : « Zamir, tragédie bourgeoise en trois actes, en vers dissyllabiques et en rimes croisées et redoublées, par M. R***, » sans nom de ville ni d’imprimeur, 1761, in-8o. Quel est ce Randon ? Est-ce Randon de Boisset, comme le dit, dans le Catalogue de la bibliothèque dramatique de M. de Soleinne, M. P. Lacroix ? Nous ne savons, mais les deux pièces ne se trouvent pas dans son Catalogue, imprimé en 1777. Un article de la Revue critique d’histoire et de littérature, du 11 août 1866 et signé G. P. (Gaston Paris), fait observer que Quérard n’a pas reproduit exactement les titres des deux pièces qui ne portent pas les mots « par M. R*** » ; M. Ravenel, en supposant que Quérard a ajouté cette mention d’après une annonce de librairie, doit être dans le vrai. On peut donc la conserver, et s’il faut chercher à cet R*** une autre traduction que celle de Randon, qu’on la cherche ; mais on n’a pas prouvé, par cela seul, que cet R*** représente Diderot et c’est tout ce qui nous intéresse.

Ce sont surtout les critiques allemands menés par Lessing qui se sont inquiétés de l’Humanité ; M. Rosenkranz en a parlé, en s’étonnant du silence des critiques français, dans le Jahrbuch für Litteraturgeschischte, de Gosche. Il en a donné une analyse sommaire dans son livre sur Diderot, mais ni Diderot ni ses amis n’y ont jamais fait aucune allusion. La chose n’est connue que par ses ennemis, et il est permis de soupçonner qu’ils en sont aussi les auteurs. Lorsque Diderot citait comme modèles des pièces ayant précédé les siennes, c’était ou la Sylvie, de Landois (1742), tragédie en un acte et en prose, ou la Cénie de Mme de Graffigny.

C’est en 1757 que parut le Fils naturel, suivi des Entretiens. L’effet fut grand. Mme d’Épinay dit que, pour son compte, elle en vendit plus de cent exemplaires en deux jours. Grimm, sous la date du 1er mars 1757,