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TROISIÈME ENTRETIEN

Le lendemain, le ciel se troubla ; une nue qui amenait l’orage, et qui portait le tonnerre, s’arrêta sur la colline, et la couvrit de ténèbres. A la distance ou j’étais, les éclairs sem- blaient s’allumer et s’éteindre clans ces ténèbres. La cime des chênes était agitée ; le bruit des vents se mêlait au murmure des eaux ; le tonnerre, en grondant, se promenait entre les arbres ; mon imagination, dominée par des rapports secrets, me mon- trait, au milieu de cette scène obscure, Dorval tel que je l’avais vu la veille dans les transports de son enthousiasme ; et je croyais entendre sa voix harmonieuse s’élever au-dessus des vents et du tonnerre.

Cependant l’orage se dissipa ; l’air en devint plus pur ; le ciel plus serein : et je serais allé chercher Dorval sous les chênes, mais je pensai que la terre y serait trop molle, et l’herbe trop fraîche. Si la pluie n’avait pas duré, elle avait été forte. Je me rendis chez lui. Il m’attendait ; car il avait pensé, de son côté, que je n’irais point au rendez-vous de la veille ; et ce fut dans son jardin, sur les bords sablés d’un large canal, où il avait cou- tume de se promener, qu’il acheva de me développer ses idées. Après quelques discours généraux sur les actions de la vie, et sur l’imitation qu’on en fait au théâtre, il me dit :

"On distingue dans tout objet moral, un milieu et deux extrêmes. Il semble donc que, toute action dramatique étant un objet moral, il devrait y avoir un genre moyen et deux genres extrêmes. Nous avons ceux-ci ; c’est la comédie et la tragédie : mais l’homme n’est pas toujours dans la douleur ou dans la joie. Il y a donc un point qui sépare la distance du genre comi- que au genre tragique.