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et à ne rien croire ! Cependant, dis comme toi, je t’écouterai comme moi, et je t’en croirai comme je pourrai.

Jacques.

Mon cher maître, la vie se passe en quiproquos. Il y a les quiproquos d’amour, les quiproquos d’amitié, les quiproquos de politique, de finance, d’église, de magistrature, de commerce, de femmes, de maris…

Le maître.

Eh ! laisse là ces quiproquos, et tâche de t’apercevoir que c’est en faire un grossier que de t’embarquer dans un chapitre de morale, lorsqu’il s’agit d’un fait historique. L’histoire de ton capitaine ?

Jacques.

Si l’on ne dit presque rien dans ce monde, qui soit entendu comme on le dit, il y a bien pis, c’est qu’on n’y fait presque rien qui soit jugé comme on l’a fait.

Le maître.

Il n’y a peut-être pas sous le ciel une autre tête qui contienne autant de paradoxes que la tienne.

Jacques.

Et quel mal y aurait-il à cela ? Un paradoxe n’est pas toujours une fausseté.

Le maître.

Il est vrai.

Jacques.

Nous passions à Orléans, mon capitaine et moi. Il n’était bruit dans la ville que d’une aventure récemment arrivée à un citoyen appelé M. Le Pelletier, homme pénétré d’une si profonde commisération pour les malheureux, qu’après avoir réduit, par des aumônes démesurées, une fortune assez considérable au plus étroit nécessaire, il allait de porte en porte chercher dans la bourse d’autrui des secours qu’il n’était plus en état de puiser dans la sienne.

Le maître.

Et tu crois qu’il y avait deux opinions sur la conduite de cet homme-là ?

Jacques.

Non, parmi les pauvres ; mais presque tous les riches, sans exception, le regardaient comme une espèce de fou ; et peu