Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/67

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sa vie ; j’ai une fille aînée qui fait le poil à tout venant, et qui vous lève un appareil aussi bien que moi.

— Combien me prendriez-vous pour mon logement, ma nourriture et vos soins ?

— Le chirurgien dit en se grattant l’oreille : Pour le logement… la nourriture… les soins… Mais qui est-ce qui me répondra du payement ?

— Je payerai tous les jours.

— Voilà ce qui s’appelle parler, cela… »

Mais, monsieur, je crois que vous ne m’écoutez pas.

Le maître.

Non, Jacques, il était écrit là-haut que tu parlerais cette fois, qui ne sera peut-être pas la dernière, sans être écouté.

Jacques.

Quand on n’écoute pas celui qui parle, c’est qu’on ne pense à rien, ou qu’on pense à autre chose que ce qu’il dit : lequel des deux faisiez-vous ?

Le maître.

Le dernier. Je rêvais à ce qu’un des domestiques noirs qui suivait le char funèbre te disait, que ton capitaine avait été privé, par la mort de son ami, du plaisir de se battre au moins une fois la semaine. As-tu compris quelque chose à cela ?

Jacques.

Assurément !

Le maître.

C’est pour moi une énigme que tu m’obligerais de m’expliquer.

Jacques.

Et que diable cela vous fait-il ?

Le maître.

Peu de chose ; mais quand tu parleras, tu veux apparemment être écouté ?

Jacques.

Cela va sans dire.

Le maître.

Eh bien ! en conscience, je ne saurais t’en répondre, tant que cet inintelligible propos me chiffonnera la cervelle. Tire-moi de là, je t’en prie.