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donnait au coupable ; il n’était sévère que pour lui seul. Loin de chercher des excuses aux fautes légères qui lui échappaient, il s’occupait avec toute la méchanceté d’un ennemi à se les exagérer et avec tout l’esprit d’un jaloux à rabaisser le prix de ses vertus par un examen rigoureux des motifs qui l’avaient peut-être déterminé à son insu. Ne prescrivez à vos regrets d’autre terme que celui que le temps y mettra. Soumettons-nous à l’ordre universel lorsque nous perdons nos amis, comme nous nous y soumettrons lorsqu’il lui plaira de disposer de nous ; acceptons l’arrêt du sort qui les condamne, sans désespoir, comme nous l’accepterons sans résistance lorsqu’il se prononcera contre nous. Les devoirs de la sépulture ne sont pas les derniers devoirs des âmes. La terre qui se remue dans ce moment se raffermira sur la tombe de votre amant ; mais votre âme conservera toute sa sensibilité. »

Jacques.

Mon maître, cela est fort beau ; mais à quoi diable cela revient-il ? J’ai perdu mon capitaine, j’en suis désolé ; et vous me détachez, comme un perroquet, un lambeau de la consolation d’un homme ou d’une femme à une autre femme qui a perdu son amant.

Le maître.

Je crois que c’est d’une femme.

Jacques.

Moi, je crois que c’est d’un homme. Mais que ce soit d’un homme ou d’une femme, encore une fois, à quoi diable cela revient-il ? Est-ce que vous me prenez pour la maîtresse de mon capitaine ? Mon capitaine, monsieur, était un brave homme ; et moi, j’ai toujours été un honnête garçon.

Le maître.

Jacques, qui est-ce qui vous le dispute ?

Jacques.

À quoi diable revient donc votre consolation d’un homme ou d’une femme à une autre femme ? À force de vous le demander, vous me le direz peut-être.

Le maître.

Non, Jacques, il faut que vous trouviez cela tout seul.