Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.

il s’arrête tout court et où Jacques, tournant ses regards autour de lui, se voit entre des fourches patibulaires.

Un autre que moi, lecteur, ne manquerait pas de garnir ces fourches de leur gibier et de ménager à Jacques une triste reconnaissance. Si je vous le disais, vous le croiriez peut-être, car il y a des hasards singuliers, mais la chose n’en serait pas plus vraie ; ces fourches étaient vacantes.

Jacques laissa reprendre haleine à son cheval, qui de lui-même redescendit la montagne, remonta la fondrière et replaça Jacques à côté de son maître, qui lui dit : Ah ! mon ami, quelle frayeur tu m’as causée ! je t’ai tenu pour mort… mais tu rêves ; à quoi rêves-tu ?

Jacques.

À ce que j’ai trouvé là-haut.

Le maître.

Et qu’y as-tu donc trouvé ?

Jacques.

Des fourches patibulaires, un gibet.

Le maître.

Diable ! cela est de fâcheux augure ; mais rappelle-toi ta doctrine. Si cela est écrit là-haut, tu auras beau faire, tu seras pendu, cher ami ; et si cela n’est pas écrit là-haut, le cheval en aura menti. Si cet animal n’est pas inspiré, il est sujet à des lubies ; il faut y prendre garde…


Après un moment de silence, Jacques se frotta le front et secoua ses oreilles, comme on fait lorsqu’on cherche à écarter de soi une idée fâcheuse, et reprit brusquement :

Ces vieux moines tinrent conseil entre eux et résolurent à quelque prix et par quelque voie que ce fût, de se défaire d’une jeune barbe qui les humiliait. Savez-vous ce qu’ils firent ?… Mon maître, vous ne m’écoutez pas.

Le maître.

Je t’écoute, je t’écoute : continue.

Jacques.

Ils gagnèrent le portier, qui était un vieux coquin comme eux. Ce vieux coquin accusa le jeune Père d’avoir pris des libertés avec une de ses dévotes dans le parloir et assura, par serment, qu’il l’avait vu. Peut-être cela était-il vrai, peut-être