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Jacques.

Non, monsieur.

Le maître.

Et tu l’as payée ?

Jacques.

Assurément !

Le maître.

Je fus une fois en ma vie plus malheureux que toi.

Jacques.

Vous payâtes après avoir couché ?

Le maître.

Tu l’as dit.

Jacques.

Est-ce que vous ne me raconterez pas cela ?

Le maître.

Avant que d’entrer dans l’histoire de mes amours, il faut être sorti de l’histoire des tiennes. Eh bien ! Jacques, et tes amours, que je prendrai pour les premières et les seules de ta vie, nonobstant l’aventure de la servante du lieutenant général de Conches ; car, quand tu aurais couché avec elle, tu n’en aurais pas été l’amoureux pour cela. Tous les jours on couche avec des femmes qu’on n’aime pas, et l’on ne couche pas avec des femmes qu’on aime. Mais…

Jacques.

Eh bien ! mais !… qu’est-ce ?

Le maître.

Mon cheval !… Jacques, mon ami, ne te fâche pas ; mets-toi à la place de mon cheval, suppose que je t’aie perdu, et dis-moi si tu ne m’estimerais pas davantage si tu m’entendais m’écrier : Mon Jacques ! mon pauvre Jacques !

Jacques sourit et dit : J’en étais, je crois, au discours de mon hôte avec sa femme pendant la nuit qui suivit mon premier pansement. Je reposai un peu. Mon hôte et sa femme se levèrent plus tard que de coutume.

Le maître.

Je le crois.

Jacques.

À mon réveil, j’entrouvris doucement mes rideaux, et je vis mon hôte, sa femme et le chirurgien en conférence secrète