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gestions qu’il entassait continuellement les unes sur les autres, n’ont pas peu contribué à abréger ses jours. Il avait aussi le cœur très-inflammable : une passion vive, qu’il avait prise pour une femme aimable, mais déjà éloignée de la saison de l’amour[1], passion qui n’obtint en retour que de l’estime et de l’amitié, influa, si l’on en croit ses amis, sur le repos de ses dernières années.

Il jouissait de 10,000 livres de rente en pensions et bienfaits du roi. La pension de 1,000 livres, qu’il tenait de l’Académie des sciences, passe, suivant l’ordre du tableau, à M. d’Alembert, mais elle ne lui est pas encore accordée. M. le comte de Saint-Florentin a dit aux députés de l’Académie, qui la sollicitait pour lui, « que la chose souffrirait des difficultés, parce que le roi était mécontent des ouvrages de M. d’Alembert. » Je crois que celui-ci ne supporterait pas en silence un dégoût si marqué… Clairaut était honnête homme, bon ami et du commerce le plus sûr. Il aimait la musique. Il n’était pas sans ressources dans la société ; et une étude des sciences abstraites, commencée dès ses plus jeunes années, et continuée toute sa vie avec opiniâtreté, ne lui avait pas ôté la sérénité. Il était vrai, il était gai, et il avait bien son mot à lui dans la conversation. Il jouissait doucement de sa fortune avec ses amis et une petite gouvernante fort jolie qui avait soin de son ménage, à qui il avait appris assez de géométrie pour l’aider dans ses calculs, et que sa mort laisse dans le veuvage. Une maladie subite et violente l’ayant emporté au bout de quatre jours, il n’a pu prendre aucun arrangement en faveur de la compagne de ses travaux et de ses plaisirs : son sort occupe et intéresse dans ce moment-ci tous les gens de lettres… Clairaut avait vu ce règne brillant de la géométrie où toutes nos femmes brillantes de la cour et de la ville voulaient avoir un géomètre à leur suite. Il a cultivé particulièrement la science du calcul, et l’a appliquée à des problèmes de géométrie pure, de mécanique, de dynamique et d’astronomie ; sa carrière était la même que celle de M. d’Alembert. Clairaut, qui pouvait le disputer à d’Alembert, en qualité de géomètre, ne pouvait souffrir que celui-ci cherchât encore à se distinguer dans les lettres ; il ne

  1. Mme de Fourqueux. (Note de Grimm.)