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Squilaci s’enfuyait vers l’Italie, et le même jour le roi se rendit, par des chemins détournés, à Aranjuez ; évasion pusillanime qui faillit à renouveler la sédition. On avait recréé la place de président de Castille, précédemment abolie par la crainte du pouvoir qu’elle conférait à celui qui en était revêtu : on l’avait donnée au comte d’Aranda, dont le premier soin fut de rechercher secrètement les causes de l’émeute. L’abbé Hermoso, le marquis de Campo-Florès et leurs complices furent arrêtés. On apprit, dans leur interrogatoire, que la révolte ne devait éclater que le jour du vendredi ou du jeudi saint, et qu’on avait puisé dans le collège impérial des jésuites, les véritables promoteurs de ce détestable projet, les sommes distribuées dans les tavernes.

Malgré ces indices, que le comte d’Aranda avait tirés de la bouche des coupables, il ne se crut pas assez instruit pour déterminer son roi ; d’ailleurs il savait que dans les rébellions un remède direct pouvait accroître le mal, et qu’il convenait de trouver un prétexte pour châtier des rebelles. Il lui fallait des preuves évidentes ; mais, comment les acquérir ? Il se contenta de feindre, de traiter les jésuites avec plus de distinction que jamais, et d’espérer tout du temps. Tel était l’état des choses, lorsque le procureur général de l’Ordre, le père Altamirano, vint solliciter à la cour la permission de passer à Rome. D’Aranda ne douta nullement qu’il n’allât rendre compte à Ricci[1] de l’émeute récente, et que les coffres du jésuite ne continssent les lumières dont il avait besoin. Il cajola Altamirano, et lui offrit tous les secours qu’il pouvait désirer. Les passe-ports qui promettaient à sa personne et à ses effets la plus grande sûreté lui furent expédiés ; mais ils avaient été précédés d’injonctions, nonobstant tout empêchement contraire, de visiter à Barcelone les caisses du père, et de s’emparer de ses papiers ; en même temps, on attacha aux côtés du voyageur un officier de cavalerie qui faisait la même route pour le service du roi, et qui ne le perdait pas de vue. Arrivé à Barcelone, le

  1. Ricci (Laurent) était alors général des jésuites depuis 1758. C’est lui qui a prononcé le mot fameux en réponse à une proposition de réforme de la Société : Sint ut sunt aut non sint. Il vit la suppression de son ordre par Clément XIV en 1773 et mourut en prison au château Saint-Ange. Caraccioli et, de nos jours, Ch. Sainte-Foi ont écrit sa vie.