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s’était élevé, de l’atelier d’un artisan sicilien, à la plus haute dignité de l’empire, l’appui que le souverain lui accordait, l’abus du pouvoir qui lui était confié, le monopole des grains, le mépris des anciens usages, le renversement des vieilles coutumes, presque toujours l’objet de l’attachement fanatique des peuples, et les attentats sur la personne de citoyens dépouillés du vêtement national, et insultés dans les rues, sur les places, aux promenades publiques ; telles furent les causes réelles qui allumèrent un feu couvert qui bouillonnait au fond des âmes, et que la politique jésuitique attisait. Mais avant de passer à son explosion, il convient de retourner, pour un moment, dans les contrées de l’Amérique.

Les droits du fisc espagnol dans l’Amérique étaient fixés ; ils consistaient dans une taxe sur les denrées qui passent d’Europe dans ces contrées. À titre de souverain, le roi nomme les gouverneurs, les vice-rois, les alcades et les autres employés dans la magistrature et la finance. Il lève un impôt, sous la forme de capitation, sur les habitants des Indes, et toutes les nations de l’Amérique espagnole sont comprises sous le nom générique de los Indios ; il jouit de l’exploitation des mines, de la vente des eaux-de-vie, et de la plante appelée chicha. Les patentes, les commissions, les bulles de la Cruzada, les cartes, le papier timbré, le vif-argent, la répartition de las Minas, ou l’obligation de fournir un certain nombre de bras aux travaux publics, étaient autant de charges que l’on supportait sans murmure, lorsque Squilaci s’avisa d’en augmenter le fardeau, de créer une chambre des domaines, de réduire les naturels d’Amérique à la condition des habitants de la Castille, de gêner la liberté des franchises, et d’exiger, par forme d’emprunt, des sommes considérables des différentes sortes de corporations. Les jésuites ne manquèrent pas de profiter de la circonstance pour exciter une fermentation qui aurait eu les suites les plus fâcheuses, si la prudence du ministère ne l’eût apaisée par la dissimulation et par sa douceur. Cependant on avait foulé aux pieds les sceaux du prince, on avait lacéré les ordres de son ministre ou les siens, on avait attaqué les officiers dans leurs maisons ; ils n’avaient échappé à l’assassinat qu’en se réfugiant dans leurs campagnes, où la populace les avait tenus bloqués. La révolte avait été poussée jusqu’à vou-