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« Cette démarche ne vous perdra pas, vous ; mais elle perdra votre ami ? — Eh ! que m’importe, pourvu qu’elle me sauve ? — Mais votre ami ? — Mon ami, tant qu’il vous plaira, moi d’abord. » … « Croyez-vous, monsieur l’abbé, que Mme Geoffrin vous reçoive chez elle avec grand plaisir ? — Qu’est-ce que cela me fait, pourvu que je m’y trouve bien ? » … Regardez cet homme-ci, lorsqu’il entre quelque part ; il a la tête penchée sur sa poitrine, il s’embrasse, il se serre étroitement pour être plus près de lui-même. Vous avez vu le maintien et vous avez entendu le cri de l’homme personnel, cri qui retentit de tout côté. C’est un des cris de la nature.

« J’ai contracté ce pacte avec vous, il est vrai, mais je vous annonce que je ne le tiendrai pas. — Monsieur le comte, vous ne le tiendrez pas ! et pourquoi cela, s’il vous plaît ? — Parce que je suis le plus fort… » Le cri de la force est encore un des cris de la nature… « Vous penserez que je suis un infâme, je m’en moque… » Voilà le cri de l’impudence.

« Mais ce sont, je crois, des foies d’oie de Toulouse ? — Excellents ! délicieux ! — Eh ! que n’ai-je la maladie dont ce serait là le remède !… » Et c’est l’exclamation d’un gourmand qui souffrait de l’estomac.


— Vous leur fîtes, seigneur,
En les croquant, beaucoup d’honneur…


Et voilà le cri de la flatterie, de la bassesse et des cours. Mais ce n’est pas tout.

Le cri de l’homme prend encore une infinité de formes diverses de la profession qu’il exerce. Souvent elles déguisent l’accent du caractère.

Lorsque Ferrein dit : « Mon ami tomba malade, je le traitai ; il mourut, je le disséquai ; » Ferrein fut-il un homme dur ? Je l’ignore.

« Docteur, vous arrivez bien tard.

— Il est vrai.

— Cette pauvre mademoiselle du Thé[1] n’est plus.

— Elle est morte !

  1. Quelle est cette demoiselle du Thé ? Ce n’est à coup sûr pas la fameuse courtisane qui ne mourut qu’en 1820.