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Mais Jacques et son maître sont à l’entrée du village où ils allaient voir l’enfant et les nourriciers de l’enfant du chevalier de Saint-Ouin. Jacques se tut ; son maître lui dit : « Descendons, et faisons ici une pause.

— Pourquoi ?

— Parce que, selon toute apparence, tu touches à la conclusion de tes amours.

— Pas tout à fait.

— Quand on est arrivé au genou, il y a peu de chemin à faire.

— Mon maître, Denise avait la cuisse plus longue qu’une autre.

— Descendons toujours. »

Ils descendent de cheval, Jacques le premier, et se présentant avec célérité à la botte de son maître, qui n’eut pas plus tôt posé le pied sur l’étrier que les courroies se détachent et que mon cavalier, renversé en arrière, allait s’étendre rudement par terre si son valet ne l’eût reçu entre ses bras.

Le maître.

Eh bien ! Jacques, voilà comme tu me soignes ! Que s’en est-il fallu que je me sois enfoncé un côté, cassé le bras, fendu la tête, peut-être tué ?

Jacques.

Le grand malheur !

Le maître.

Que dis-tu, maroufle ? Attends, attends, je vais t’apprendre à parler…

Et le maître, après avoir fait faire au cordon de son fouet deux tours sur le poignet, de poursuivre Jacques ; et Jacques de tourner autour du cheval, en éclatant de rire ; et son maître de jurer, de sacrer, d’écumer de rage, et de tourner aussi autour du cheval en vomissant contre Jacques un torrent d’invectives ; et cette course de durer jusqu’à ce que tous deux, traversés de sueur et épuisés de fatigue, s’arrêtèrent l’un d’un côté du cheval, l’autre de l’autre, Jacques haletant et continuant de rire ; son maître haletant et lui lançant des regards de fureur. Ils commençaient à reprendre haleine, lorsque Jacques dit à son maître : Monsieur mon maître en conviendra-t-il à présent ?

Le maître.

Et de quoi veux-tu que je convienne, chien, coquin, infâme,