Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dant quelque chose qui résonnait dans la poche de Jacques, lui demanda ce que c’était : Jacques lui dit que c’étaient les deux clefs des chambres.

Le maître.

Et pourquoi ne les avoir pas rendues ?

Jacques.

C’est qu’il faudra enfoncer deux portes ; celle de nos voisins pour les tirer de leur prison, la nôtre pour leur délivrer leurs vêtements ; et que cela nous donnera du temps.

Le maître.

Fort bien, Jacques ! mais pourquoi gagner du temps ?

Jacques.

Pourquoi ? Ma foi, je n’en sais rien.

Le maître.

Et si tu veux gagner du temps, pourquoi aller au petit pas comme tu fais ?

Jacques.

C’est que, faute de savoir ce qui est écrit là-haut, on ne sait ni ce qu’on veut ni ce qu’on fait, et qu’on suit sa fantaisie qu’on appelle raison, ou sa raison qui n’est souvent qu’une dangereuse fantaisie qui tourne tantôt bien, tantôt mal.

Le maître.

Pourrais-tu me dire ce que c’est qu’un fou, ce que c’est qu’un sage ?

Jacques.

Pourquoi pas ?… un fou… attendez… c’est un homme malheureux ; et par conséquent un homme heureux est sage.

Le maître.

Et qu’est-ce qu’un homme heureux ou malheureux ?

Jacques.

Pour celui-ci, il est aisé. Un homme heureux est celui dont le bonheur est écrit là-haut ; et par conséquent celui dont le malheur est écrit là-haut, est un homme malheureux.

Le maître.

Et qui est-ce qui a écrit là-haut le bonheur et le malheur ?

Jacques.

Et qui est-ce qui a fait le grand rouleau où tout est écrit ? Un capitaine, ami de mon capitaine, aurait bien donné un petit