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D’abord je lui montrais la chose ; si elle la trouvait bien, je lui disais : « Denise, c’est pour vous que je l’ai achetée… » Si elle l’acceptait, ma main tremblait en la lui présentant, et la sienne en la recevant. Un jour, ne sachant plus que lui donner, j’achetai des jarretières ; elles étaient de soie, chamarrées de blanc, de rouge et de bleu, avec une devise. Le matin, avant qu’elle arrivât, je les mis sur le dossier de la chaise qui était à côté de mon lit. Aussitôt que Denise les aperçut, elle dit : « Oh ! les jolies jarretières !

— C’est pour mon amoureuse, lui répondis-je.

— Vous avez donc une amoureuse, monsieur Jacques ?

— Assurément ; est-ce que je ne vous l’ai pas encore dit ?

— Non. Elle est bien aimable, sans doute ?

— Très aimable.

— Et vous l’aimez bien ?

— De tout mon cœur.

— Et elle vous aime de même ?

— Je n’en sais rien. Ces jarretières sont pour elle, et elle m’a promis une faveur qui me rendra fou, je crois, si elle me l’accorde.

— Et quelle est cette faveur ?

— C’est que de ces deux jarretières là j’en attacherai une de mes mains… »

Denise rougit, se méprit à mon discours, crut que les jarretières étaient pour une autre, devint triste, fit maladresse sur maladresse, cherchait tout ce qu’il fallait pour mon pansement, l’avait sous les yeux et ne le trouvait pas ; renversa le vin qu’elle avait fait chauffer, s’approcha de mon lit pour me panser, prit ma jambe d’une main tremblante, délia mes bandes tout de travers, et quand il fallut étuver ma blessure, elle avait oublié tout ce qui était nécessaire ; elle l’alla chercher, me pansa, et en me pansant je vis qu’elle pleurait.

« Denise, je crois que vous pleurez, qu’avez-vous ?

— Je n’ai rien.

— Est ce qu’on vous a fait de la peine ?

— Oui.

— Et qui est le méchant qui vous a fait de la peine ?

— C’est vous.