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Comme nous étions en train, le chevalier et moi, de nous affliger, de nous consoler, de nous accuser, de nous injurier et de nous demander pardon, le commissaire entra ; le chevalier pâlit et sortit brusquement. Ce commissaire était un homme de bien, comme il en est quelques-uns, qui, relisant chez lui son procès verbal, se rappela qu’autrefois il avait fait ses études avec un jeune homme qui portait mon nom ; il lui vint en pensée que je pourrais bien être le parent ou même le fils de son ancien camarade de collège : et le fait était vrai. Sa première question fut de me demander qui était l’homme qui s’était évadé quand il était entré.

« Il ne s’est point évadé, lui dis-je, il est sorti ; c’est mon intime ami, le chevalier de Saint-Ouin.

— Votre ami ! Vous avez là un plaisant ami ! Savez-vous, monsieur, que c’est lui qui m’est venu avertir ? Il était accompagné du père et d’un autre parent.

— Lui !

— Lui-même.

— Êtes-vous bien sûr de votre fait ?

— Très-sûr ; mais comment l’avez-vous nommé ?

— Le chevalier de Saint-Ouin.

— Oh ! le chevalier de Saint-Ouin, nous y voilà. Et savez-vous ce que c’est que votre ami, votre intime ami le chevalier de Saint-Ouin ? Un escroc, un homme noté par cent mauvais tours. La police ne laisse la liberté du pavé à cette espèce d’hommes-là, qu’à cause des services qu’elle en tire quelquefois. Ils sont fripons et délateurs des fripons ; et on les trouve apparemment plus utiles par le mal qu’ils préviennent ou qu’ils révèlent que nuisibles par celui qu’ils font… »

Je racontai au commissaire ma triste aventure, telle qu’elle s’était passée. Il ne la vit pas d’un œil beaucoup plus favorable ; car tout ce qui pouvait m’absoudre ne pouvait ni s’alléguer ni se démontrer au tribunal des lois. Cependant il se chargea d’appeler le père et la mère, de serrer les pouces à la fille, d’éclairer le magistrat, et de ne rien négliger de ce qui servirait à ma justification ; me prévenant toutefois que, si ces gens étaient bien conseillés, l’autorité y pourrait très peu de chose.

« Quoi ! monsieur le commissaire, je serais forcé d’épouser ?

— Épouser ! cela serait bien dur, aussi ne l’appréhendé-je