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chevalier m’apparut dans ma retraite. Il savait tout. Agathe était désolée ; ses parents étaient engagés ; il avait essuyé les plus cruels reproches sur la perfide connaissance qu’il leur avait donnée ; c’était lui qui était la première cause de leur malheur et du déshonneur de leur fille ; ces pauvres gens faisaient pitié. Il avait demandé à parler à Agathe en particulier ; il ne l’avait pas obtenu sans peine. Agathe avait pensé lui arracher les yeux, elle l’avait appelé des noms les plus odieux. Il s’y attendait ; il avait laissé tomber ses fureurs ; après quoi il avait tâché de l’amener à quelque chose de raisonnable ; mais cette fille disait une chose à laquelle, ajoutait le chevalier, je ne sais point de réplique : « Mon père et ma mère m’ont surprise avec votre ami ; faut-il leur apprendre que, en couchant avec lui, je croyais coucher avec vous ?… » Il lui répondait : « Mais en bonne foi croyez-vous que mon ami puisse vous épouser ?… — Non, disait-elle, c’est vous, indigne, c’est vous, infâme, qui devriez être condamné. »

« Mais, dis-je au chevalier, il ne tiendrait qu’à vous de me tirer d’affaire.

— Comment cela ?

— Comment ? en déclarant la chose comme elle est.

— J’en ai menacé Agathe ; mais, certes, je n’en ferai rien. Il est incertain que ce moyen nous servît utilement ; il est très certain qu’il nous couvrirait d’infamie. Aussi c’est votre faute.

— Ma faute ?

— Oui, votre faute. Si vous eussiez approuvé l’espièglerie que je vous proposais, Agathe aurait été surprise entre deux hommes, et tout ceci aurait fini par une dérision. Mais cela n’est point, et il s’agit de se tirer de ce mauvais pas.

— Mais, chevalier, pourriez-vous m’expliquer un petit incident ? C’est mon habit repris et le vôtre remis dans la garde-robe ; ma foi, j’ai beau y rêver, c’est un mystère qui me confond. Cela m’a rendu Agathe un peu suspecte ; il m’est venu dans la tête qu’elle avait reconnu la supercherie, et qu’il y avait entre elle et ses parents je ne sais quelle connivence.

— Peut être vous aura-t-on vu monter ; ce qu’il y a de certain, c’est que vous fûtes à peine déshabillé, qu’on me renvoya mon habit et qu’on me redemanda le vôtre.

— Cela s’éclaircira avec le temps… »