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sement ; j’aperçois des lumières, j’entends des voix d’hommes et de femmes qui parlaient tous à la fois. Les rideaux sont violemment tirés ; et j’aperçois le père, la mère, les tantes, les cousins, les cousines et un commissaire qui leur disait gravement : « Messieurs, mesdames, point de bruit ; le délit est flagrant ; monsieur est un galant homme : il n’y a qu’un moyen de réparer le mal ; et monsieur aimera mieux s’y prêter de lui-même que de s’y faire contraindre par les lois… »

À chaque mot il était interrompu par le père et par la mère qui m’accablaient de reproches ; par les tantes et par les cousines qui adressaient les épithètes les moins ménagées à Agathe, qui s’était enveloppé la tête dans les couvertures. J’étais stupéfait, et je ne savais que dire. Le commissaire s’adressant à moi, me dit ironiquement : « Monsieur, vous êtes fort bien ; il faut cependant que vous ayez pour agréable de vous lever et de vous vêtir… » Ce que je fis, mais avec mes habits qu’on avait substitués à ceux du chevalier. On approcha une table ; le commissaire se mit à verbaliser. Cependant la mère se faisait tenir à quatre pour ne pas assommer sa fille, et le père lui disait : « Doucement, ma femme, doucement ; quand vous aurez assommé votre fille, il n’en sera ni plus ni moins. Tout s’arrangera pour le mieux… » Les autres personnages étaient dispersés sur des chaises, dans les différentes attitudes de la douleur, de l’indignation et de la colère. Le père, gourmandant sa femme par intervalles, lui disait : « Voilà ce que c’est que de ne pas veiller à la conduite de sa fille… » La mère lui répondait : « Avec cet air si bon et si honnête, qui l’aurait cru de monsieur ?… » Les autres gardaient le silence. Le procès verbal dressé, on m’en fit lecture ; et comme il ne contenait que la vérité, je le signai et je descendis avec le commissaire, qui me pria très obligeamment de monter dans une voiture qui était à la porte, d’où l’on me conduisit avec un assez nombreux cortège droit au For-l’Évêque.

Jacques.

Au For-l’Évêque ! en prison !

Le maître.

En prison ; et puis voilà un procès abominable. Il ne s’agissait rien moins que d’épouser Mlle  Agathe ; les parents ne voulaient entendre à aucun accommodement. Dès le matin, le