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d’or. J’avais cinquante louis dans ma bourse ; et nous étions, le chevalier et moi, de la plus belle gaieté.

Jacques.

Voilà qui est fort bien. Il n’y a dans tout ceci qu’une chose qui m’intrigue : c’est le désintéressement du sieur Le Brun ; est-ce que celui-là n’eut aucune part à la dépouille ?

Le maître.

Allons donc, Jacques, vous vous moquez ; vous ne connaissez pas M. Le Brun. Je lui proposai de reconnaître ses bons offices : il se fâcha, il me répondit que je le prenais apparemment pour un Mathieu de Fourgeot ; qu’il n’avait jamais tendu la main. « Voilà mon cher Le Brun, s’écria le chevalier, c’est toujours lui-même ; mais nous rougirions qu’il fût plus honnête que nous… » Et à l’instant il prit parmi nos marchandises deux douzaines de mouchoirs, une pièce de mousseline, qu’il lui fit accepter pour sa femme et pour sa fille. Le Brun se mit à considérer les mouchoirs, qui lui parurent si beaux, la mousseline qu’il trouva si fine, cela lui était offert de si bonne grâce, il avait une si prochaine occasion de prendre sa revanche avec nous par la vente des effets qui restaient entre ses mains, qu’il se laissa vaincre ; et nous voilà partis, et nous acheminant à toutes jambes de fiacre vers la demeure de celle que j’aimais, et à qui la garniture, les manchettes et la bague étaient destinées. Le présent réussit à merveille. On fut charmante. On essaya sur-le-champ la garniture et les manchettes ; la bague semblait avoir été faite pour le doigt. On soupa, et gaiement comme tu penses bien.

Jacques.

Et vous couchâtes là.

Le maître.

Non.

Jacques.

Ce fut donc le chevalier ?

Le maître.

Je le crois.

Jacques.

Du train dont on vous menait, vos cinquante louis ne durèrent pas longtemps.