Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/234

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’une auberge, dans une auberge le choix d’un appartement, dans un appartement le choix d’un lit, son premier mot était : « Interrogeons la gourde. » Son dernier était : « C’est l’avis de la gourde et le mien. » Lorsque le destin était muet dans sa tête, il s’expliquait par sa gourde, c’était une espèce de Pythie portative, silencieuse aussitôt qu’elle était vide. À Delphes, la Pythie, ses cotillons retroussés, assise à cul nu sur le trépied, recevait son inspiration de bas en haut ; Jacques, sur son cheval, la tête tournée vers le ciel, sa gourde débouchée et le goulot incliné vers sa bouche, recevait son inspiration de haut en bas. Lorsque la Pythie et Jacques prononçaient leurs oracles, ils étaient ivres tous les deux. Il prétendait que l’Esprit-Saint était descendu sur les apôtres dans une gourde ; il appelait la Pentecôte la fête des gourdes. Il a laissé un petit traité de toutes sortes de divinations, traité profond dans lequel il donne la préférence à la divination de Bacbuc[1] ou par la gourde. Il s’inscrit en faux, malgré toute la vénération qu’il lui portait, contre le curé de Meudon qui interrogeait la dive Bacbuc par le choc de la panse. « J’aime Rabelais, dit-il, mais j’aime mieux la vérité que Rabelais. » Il l’appelle hérétique Engastrimute[2] ; et il prouve par cent raisons, meilleures les unes que les autres, que les vrais oracles de Bacbuc ou de la gourde ne se faisaient entendre que par le goulot. Il compte au rang des sectateurs distingués de Bacbuc, des vrais inspirés de la gourde dans ces derniers siècles, Rabelais, La Fare, Chapelle, Chaulieu, La Fontaine, Molière, Panard, Gallet, Vadé, Platon et Jean-Jacques Rousseau[3], qui prônèrent le bon vin sans en boire, sont à son avis de faux frères de la gourde. La gourde eut autrefois quelques sanctuaires célèbres ; la Pomme-de-pin[4], le Temple[5] et la Guinguette, sanctuaires dont il écrit l’histoire séparément. Il

  1. Bacbuc, en hébreu Bachboùch, bouteille, ainsi appelée du bruit qu’elle fait quand on la vide. (Br.) — Voir Pantagruel plutôt que la Bible.
  2. Le mot est écrit engastrimeste dans l’édition originale, probablement par suite d’une erreur de copiste. On dit aujourd’hui engastrimythe, de γαστὴρ, ventre et de μῦθος, parole.
  3. Si nous en croyons Mercier, Rousseau, au moins dans ses dernières années, ne dédaignait pas le vin ; voyez son livre : J.-J. Rousseau, considéré comme un des auteurs de la Révolution. Il s’exprime en des termes que nous voulons croire empreints de son exagération habituelle.
  4. Cabaret de Villon.
  5. Où Gallet s’était réfugié pour échapper à ses créanciers.