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dant je m’habille, et je descends. Bigre le père me dit : « Tu avais besoin de cela, cela t’a bien fait ; quand tu es venu, tu avais l’air d’un déterré ; et te revoilà ! vermeil et frais comme l’enfant qui vient de téter. Le sommeil est une bonne chose !… Bigre, descends à la cave, et apporte une bouteille, afin que nous déjeunions. À présent, filleul, tu déjeuneras volontiers ? — Très volontiers… » La bouteille est arrivée et placée sur l’établi ; nous sommes debout autour. Bigre le père remplit son verre et le mien, Bigre le fils, en écartant le sien, dit d’un ton farouche : « Pour moi, je ne suis pas altéré si matin.

— Tu ne veux pas boire ?

— Non.

— Ah ! je sais ce que c’est ; tiens, filleul, il y a de la Justine là-dedans ; il aura passé chez elle, ou il ne l’aura pas trouvée, ou il l’aura surprise avec un autre ; cette bouderie contre la bouteille n’est pas naturelle : c’est ce que je te dis.

Moi.

Mais vous pourriez bien avoir deviné juste.

Bigre le fils.

Jacques, trêve de plaisanteries, placées ou déplacées, je ne les aime pas.

Bigre le père.

Puisqu’il ne veut pas boire, il ne faut pas que cela nous en empêche. À ta santé, filleul.

Moi.

À la vôtre, parrain ; Bigre, mon ami, bois avec nous. Tu te chagrines trop pour peu de chose.

Bigre le fils.

Je vous ai déjà dit que je ne buvais pas.

Moi.

Eh bien ! si ton père a rencontré, que diable, tu la reverras, vous vous expliquerez, et tu conviendras que tu as tort.

Bigre le père.

Eh ! laisse-le faire ; n’est-il pas juste que cette créature le châtie de la peine qu’il me cause ? Ça, encore un coup, et venons à ton affaire. Je conçois qu’il faut que je te mène chez ton père ; mais que veux-tu que je lui dise ?