Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/212

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le maître.

Par un rival ?

Jacques.

Eh ! non, non, de par tous les diables ! non. Mon maître, il est écrit là-haut que vous en avez pour le reste de vos jours ; tant que vous vivrez vous devinerez, je vous le répète, et vous devinerez de travers.

Un matin, que mon ami Bigre, plus fatigué qu’à l’ordinaire ou du travail de la veille, ou du plaisir de la nuit, reposait doucement entre les bras de Justine, voilà une voix formidable qui se fait entendre au pied du petit escalier : « Bigre ! Bigre ! maudit paresseux ! l’Angelus est sonné, il est près de cinq heures et demie, et te voilà encore dans ta soupente ! As-tu résolu d’y rester jusqu’à midi ? Faut-il que j’y monte et que je t’en fasse descendre plus vite que tu ne voudrais ? Bigre ! Bigre !

— Mon père ?

— Et cet essieu après lequel ce vieux bourru de fermier attend ; veux-tu qu’il revienne encore ici recommencer son tapage ?

— Son essieu est prêt, et avant qu’il soit un quart d’heure il l’aura… »

Je vous laisse à juger des transes de Justine et de mon ami Bigre le fils.

Le maître.

Je suis sûr que Justine se promit bien de ne plus se retrouver sur la soupente, et qu’elle y était le soir même. Mais comment en sortira-t-elle ce matin ?

Jacques.

Si vous vous mettez en devoir de le deviner, je me tais… Cependant Bigre le fils s’était précipité du lit, jambes nues, sa culotte à la main, et sa veste sur son bras. Tandis qu’il s’habille, Bigre le père grommelle entre ses dents : « Depuis qu’il s’est entêté de cette petite coureuse, tout va de travers. Cela finira ; cela ne saurait durer ; cela commence à me lasser. Encore si c’était une fille qui en valût la peine ; mais une créature ! Dieu sait quelle créature ! Ah ! si la pauvre défunte, qui avait de l’honneur jusqu’au bout des ongles, voyait cela, il y a longtemps qu’elle eût bâtonné l’un, et arraché les yeux de l’autre au