Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/195

Cette page a été validée par deux contributeurs.

était un homme de tête, et cet accident lui concilia la bienveillance et la protection du magistrat de police. Conduit en sa présence, voici comme il lui parla : « Je m’appelle Hudson, je suis le supérieur de ma maison. Quand j’y suis entré tout était en désordre ; il n’y avait ni science, ni discipline, ni mœurs ; le spirituel y était négligé jusqu’au scandale ; le dégât du temporel menaçait la maison d’une ruine prochaine. J’ai tout rétabli ; mais je suis homme, et j’ai mieux aimé m’adresser à une femme corrompue, que de m’adresser à une honnête femme. Vous pouvez à présent disposer de moi comme il vous plaira… » Le magistrat lui recommanda d’être plus circonspect à l’avenir, lui promit le secret sur cette aventure, et lui témoigna le désir de le connaître plus intimement.

Cependant les ennemis dont il était environné avaient, chacun de leur côté, envoyé au général de l’ordre des mémoires, où ce qu’ils savaient de la mauvaise conduite d’Hudson était exposé. La confrontation de ces mémoires en augmentait la force. Le général était janséniste, et par conséquent disposé à tirer vengeance de l’espèce de persécution qu’Hudson avait exercée contre les adhérents à ses opinions. Il aurait été enchanté d’étendre le reproche des mœurs corrompues d’un seul défenseur de la bulle et de la morale relâchée sur la secte entière. En conséquence il remit les différents mémoires des faits et gestes d’Hudson entre les mains de deux commissaires qu’il dépêcha secrètement avec ordre de procéder à leur vérification et de la constater juridiquement ; leur enjoignant surtout de mettre à la conduite de cette affaire la plus grande circonspection, le seul moyen d’accabler subitement le coupable et de le soustraire à la protection de la cour et du Mirepoix[1], aux yeux duquel le jansénisme était le plus grand de tous les crimes, et la soumission à la bulle Unigenitus, la première des vertus. Richard, mon secrétaire, fut un des deux commissaires.

Voilà ces deux hommes partis du noviciat, installés dans la maison d’Hudson et procédant sourdement aux informations. Ils eurent bientôt recueilli une liste de plus de forfaits qu’il

  1. Boyer, évêque de Mirepoix, fut l’un des plus acharnés ennemis des jansénistes. Il avait été précepteur du Dauphin, père de Louis XV, et tenait depuis la mort de Fleury la feuille des bénéfices, ce qui lui donnait une grande puissance.