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Le marquis des Arcis.

C’est ce que Richard m’avait dit. Richard aurait fait ses vœux après deux ans de noviciat, si ses parents ne s’y étaient opposés. Son père exigea qu’il rentrerait dans la maison, et que là il lui serait permis d’éprouver sa vocation, en observant toutes les règles de la vie monastique pendant une année ; traité qui fut fidèlement rempli de part et d’autre. L’année d’épreuve sous les yeux de sa famille, écoulée, Richard demanda à faire ses vœux. Son père lui répondit : « Je vous ai accordé une année pour prendre une dernière résolution, j’espère que vous ne m’en refuserez pas une pour la même chose ; je consens seulement que vous alliez la passer où il vous plaira[1]. » En attendant la fin de ce second délai, l’abbé de l’ordre se l’attacha. C’est dans cet intervalle qu’il fut impliqué dans une des aventures qui n’arrivent que dans les couvents. Il y avait alors à la tête d’une des maisons de l’ordre un supérieur d’un caractère extraordinaire : il s’appelait le père Hudson. Le père Hudson avait la figure la plus intéressante : un grand front, un visage ovale, un nez aquilin, de grands yeux bleus, de belles joues larges, une belle bouche, de belles dents, le sourire le plus fin, une tête couverte d’une forêt de cheveux blancs, qui ajoutaient la dignité à l’intérêt de sa figure ; de l’esprit, des connaissances, de la gaieté, le maintien et le propos le plus honnête, l’amour de l’ordre, celui du travail ; mais les passions les plus fougueuses, mais le goût le plus effréné des plaisirs et des femmes, mais le génie de l’intrigue porté au dernier point, mais les mœurs les plus dissolues, mais le despotisme le plus absolu dans sa maison. Lorsqu’on lui en donna l’administration, elle était infectée d’un jansénisme ignorant ; les études s’y faisaient mal, les affaires temporelles étaient en désordre, les devoirs religieux y étaient tombés en désuétude, les offices divins s’y célébraient avec indécence, les logements superflus y étaient occupés par des pensionnaires dissolus. Le père Hudson convertit ou éloigna les jansénistes, présida lui-même aux études, rétablit le temporel, remit la règle en vigueur, expulsa les pensionnaires scandaleux, introduisit dans la célébration des offices la régularité et la bienséance, et fit de

  1. Voir un fait analogue dans la Religieuse, t. V, p. 88.