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Tout en causant on arriva à la couchée, et l’on fit chambrée commune. Le maître de Jacques et le marquis des Arcis soupèrent ensemble. Jacques et le jeune homme furent servis à part. Le maître ébaucha en quatre mots au marquis l’histoire de Jacques et de son tour de tête fataliste. Le marquis parla du jeune homme qui le suivait. Il avait été prémontré. Il était sorti de sa maison par une aventure bizarre ; des amis le lui avaient recommandé ; et il en avait fait son secrétaire en attendant mieux. Le maître de Jacques dit : Cela est plaisant.

Le marquis des Arcis.

Et que trouvez-vous de plaisant à cela ?

Le maître.

Je parle de Jacques. À peine sommes-nous entrés dans le logis que nous venons de quitter, que Jacques m’a dit à voix basse : « Monsieur, regardez bien ce jeune homme, je gagerais qu’il a été moine. »

Le marquis des Arcis.

Il a rencontré juste, je ne sais sur quoi. Vous couchez-vous de bonne heure ?

Le maître.

Non, pas ordinairement ; et ce soir j’en suis d’autant moins pressé que nous n’avons fait que demi-journée.

Le marquis des Arcis.

Si vous n’avez rien qui vous occupe plus utilement ou plus agréablement, je vous raconterai l’histoire de mon secrétaire ; elle n’est pas commune.

Le maître.

Je l’écouterai volontiers.


Je vous entends, lecteur : vous me dites : Et les amours de Jacques ?… Croyez-vous que je n’en sois pas aussi curieux que vous ? Avez-vous oublié que Jacques aimait à parler, et surtout à parler de lui ; manie générale des gens de son état ; manie qui les tire de leur abjection, qui les place dans la tribune, et qui les transforme tout à coup en personnages intéressants ? Quel est, à votre avis, le motif qui attire la populace aux exécutions publiques ? L’inhumanité ? Vous vous trompez : le peuple n’est point inhumain ; ce malheureux autour de l’échafaud duquel il s’attroupe, il l’arracherait des mains de la justice s’il