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Le maître.

Quel proverbe ?

Jacques.

Jacques mène son maître. Nous serons les premiers dont on l’aura dit ; mais on le répétera de mille autres qui valent mieux que vous et moi.

Le maître.

Cela me semble dur, très dur.

Jacques.

Mon maître, mon cher maître, vous allez regimber contre un aiguillon qui n’en piquera que plus vivement. Voilà donc qui est convenu entre nous.

Le maître.

Et que fait notre consentement à une loi nécessaire ?

Jacques.

Beaucoup. Croyez-vous qu’il soit inutile de savoir une bonne fois, nettement, clairement, à quoi s’en tenir ? Toutes nos querelles ne sont venues jusqu’à présent que parce que nous ne nous étions pas encore bien dit, vous, que vous vous appelleriez mon maître, et que c’est moi qui serais le vôtre. Mais voilà qui est entendu ; et nous n’avons plus qu’à cheminer en conséquence.

Le maître.

Mais où diable as-tu appris tout cela ?

Jacques.

Dans le grand livre. Ah ! mon maître, on a beau réfléchir, méditer, étudier dans tous les livres du monde, on n’est jamais qu’un petit clerc quand on n’a pas lu dans le grand livre…


L’après-dînée, le soleil s’éclaircit. Quelques voyageurs assurèrent que le ruisseau était guéable. Jacques descendit ; son maître paya l’hôtesse très largement. Voilà à la porte de l’auberge un assez grand nombre de passagers que le mauvais temps y avait retenus, se préparant à continuer leur route ; parmi ces passagers, Jacques et son maître, l’homme au mariage saugrenu et son compagnon. Les piétons ont pris leurs bâtons et leurs bissacs ; d’autres s’arrangent dans leurs fourgons ou leurs voitures ; les cavaliers sont sur leurs chevaux, et boivent le vin de l’étrier. L’hôtesse affable tient une bouteille à la main,