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chacun de son mieux ; et qu’il soit laissé, entre ce que l’un peut et ce que l’autre doit, la même obscurité que ci-devant. »

En achevant ce prononcé, qu’elle avait pillé dans quelque ouvrage du temps, publié à l’occasion d’une querelle toute pareille, et où l’on avait entendu, de l’une des extrémités du royaume à l’autre, le maître crier à son serviteur : « Tu descendras ! » et le serviteur crier de son côté : « Je ne descendrai pas ! » allons, dit-elle à Jacques, vous, donnez-moi le bras sans parlementer davantage…

Jacques s’écria douloureusement : Il était donc écrit là-haut que je descendrais !…

L’hôtesse, à Jacques.

Il était écrit là-haut qu’au moment où l’on prend maître, on descendra, on montera, on avancera, on reculera, on restera, et cela sans qu’il soit jamais libre aux pieds de se refuser aux ordres de la tête. Qu’on me donne le bras, et que mon ordre s’accomplisse…

Jacques donna le bras à l’hôtesse ; mais à peine eurent-ils passé le seuil de la chambre, que le maître se précipita sur Jacques, et l’embrassa ; quitta Jacques pour embrasser l’hôtesse ; et les embrassant l’un et l’autre, il disait : « Il est écrit là-haut que je ne me déferai jamais de cet original-là, et que tant que je vivrai il sera mon maître et que je serai son serviteur… » L’hôtesse ajouta : « Et qu’à vue de pays, vous ne vous en trouverez pas plus mal tous deux. »

L’hôtesse, après avoir apaisé cette querelle, qu’elle prit pour la première, et qui n’était pas la centième de la même espèce, et réinstallé Jacques à sa place, s’en alla à ses affaires, et le maître dit à Jacques : « À présent que nous voilà de sang-froid et en état de juger sainement, ne conviendras-tu pas ?

Jacques.

Je conviendrai que quand on a donné sa parole d’honneur, il faut la tenir ; et puisque nous avons promis au juge sur notre parole d’honneur de ne pas revenir sur cette affaire, qu’il n’en faut plus parler.

Le maître.

Tu as raison.

Jacques.

Mais sans revenir sur cette affaire, ne pourrions-nous pas