Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/107

Cette page a été validée par deux contributeurs.

hasard que cet exempt était l’ami du pâtissier. Ils allaient de temps en temps chez le marchand de vin ; le pâtissier fournissait les petits pâtés, l’exempt payait la bouteille. Celui-ci, muni de la lettre de cachet, passe devant la porte du pâtissier, et lui fait le signe convenu. Les voilà tous les deux occupés à manger et à arroser les petits pâtés ; et l’exempt demandant à son camarade comment allait son commerce ?

« Fort bien.

« — S’il n’avait aucune mauvaise affaire ?

« — Aucune.

« — S’il n’avait point d’ennemis ?

« — Il ne s’en connaissait pas.

« — Comment il vivait avec ses parents, ses voisins, sa femme ?

« — En amitié et en paix.

« — D’où peut donc venir, ajouta l’exempt, l’ordre que j’ai de t’arrêter ? Si je faisais mon devoir, je te mettrais la main sur le collet, il y aurait là un carrosse tout prêt, et je te conduirais au lieu prescrit par cette lettre de cachet. Tiens, lis… »

« Le pâtissier lut et pâlit. L’exempt lui dit : « Rassure-toi, avisons seulement ensemble à ce que nous avons de mieux à faire pour ma sûreté et pour la tienne. Qui est-ce qui fréquente chez toi ?

« — Personne.

« — Ta femme est coquette et jolie.

« — Je la laisse faire à sa tête.

« — Personne ne la couche-t-il en joue ?

« — Ma foi, non, si ce n’est un certain intendant qui vient quelquefois lui serrer les mains et lui débiter des sornettes ; mais c’est dans ma boutique, devant moi, en présence de mes garçons, et je crois qu’il ne se passe rien entre eux qui ne soit en tout bien et en tout honneur.

« — Tu es un bon homme !

« — Cela se peut ; mais le mieux de tout point est de croire sa femme honnête, et c’est ce que je fais.

« — Et cet intendant, à qui est-il ?

« — À M. de Saint-Florentin[1].

  1. Saint-Florentin (Phelipeaux de la Vrillière, comte de), fils de Louis Phelipeaux de la Vrillière, a été ministre au département du clergé depuis 1748 jus-